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Poèmes en français

Poèmes de Vilvalex Calice

La Nuit du Moribond

Et mes cris déchirants de moribond
viennent tout juste de crever le silence
dans la nuit rouge couleur de mon sang
qui coule sur le trottoir dans les égouts
partout sur la chaussée délabrée des rues désertes

mal-éclairées par des lampadaires longs et chétifs
qui plongent tout le peuple dans la pénombre de la mort

Mon sang rougit le firmament
pénètre au cœur de la terre des Indiens
pour la nourrir pour engrosser les rats de marécages
témoins oculaires de mon assassinat
Que le vent du nord emporte la puanteur
de mon cadavre pourri juste aux nez malsains
des nouveaux colons des impérialistes criminels
pour les suffoquer
Tous ceux qui ont raté mon premier holocauste
auront la bonne fortune cette fois de l’assister
via satellite au cours des informations du dix-huit heure
en reportage spécial
Les feux réels de l’enfer artificiel
consument mon corps criblé de plomb
les cendres bleuâtres de mes dépouilles
empêchent le lever du soleil et plongent la terre
dans le blanc et le froid polluent l’air
que respirent les enfants en causant
tout une gamme de malaises respiratoires
et rendent poitrinaires les adultes
Je suis cendre et cendre je redeviens
avec l’aide des meurtriers de renom
des vagabonds de toute sorte des bourgeois
des néo-bourgeois des pseudo-bourgeois
des industriels inconscients des colonisés assimilés
des intellectuels serviles des journalistes reste-avecs
des politiciens polis-ti-chiens des voleurs de grands chemins
des souteneurs des vendeurs de nation des lâches
des courtiers de la Banque Mondiale des dictateurs déchus
des technocrates confus des mauvais socialistes
des communistes convertis des capitalistes crasseux
tout un lot de fatras nauséabonds qui provoque le vomissement
dont seule une potion de mes cendres peut arrêter
je me suis fait avaler tout entier pour renaître
fort tranchant et glissant dans ma peau de mollusque
redoublé de puanteur extrait de leur merde
Le grand jour de ma résurrection
on viendra m’imposer l’image de mon maître
mais si j’exige d’être nègre libre
ils réclameront ma tête pour avoir renoncé
à mon statut de charogne ambulante
pour me compter parmi les hommes
pour avoir prononcé mon vrai nom à haute voix
pour avoir proclamé ma liberté au monde entier
pour avoir assassiné leur langue
avec des créolismes percutants
pour n’avoir pas ponctué mes écrits
pour avoir réveillé les zombies de leur torpeur
et tous les moribonds de mon espèce
Moi africain né sur le sol d’Haïti
j’ai horreur de ces fausses couches de macaques
de leur charité peu charitable
de notre mendicité et de leur impositions et dictats
J’avise tous ceux qui veulent vivre librement
Tous ceux qui veulent marcher la tête haute
Tous ceux qui veulent briser leur chaîne
Dès aujourd’hui
je ne suis plus d’humeur à écouter des histoires
faites de caca osseux ni de pissât moelleux
je vivrai dans la vie ou dans la mort
au nom de mes ancêtres
une existence digne de celle du premier homme
qui s’est maintenu debout en ce monde

Et le ciel rouge couleur de mon sang couleur de pluie
éclate dans un tonnerre merveilleux et laisse tomber
ses eaux purificatrices pour emporter tous les déchets
ver la mer receleuse grand réceptacle de débris.

Peau

The Dream —par Frida Kahlo, 1940

Peau,
Méfie-toi de ta couleur.
Quand on te comble d’injures,
Qu’on te laisse pour mourir de haine
Dans le fond des minuits
Sur un lit de mots impolis,
Durs et mêmes méchants.
Méfie-toi!

Quand tu deviens
Couleur de vin,
Au milieu des cassures et ruptures;
Celui qui te casse et te baigne
Dans l’essence de ton essence,
Continue ses actes impunis
Quand tu deviens couleur de haine,
Couleur d’indifférence,
Couleur de moi.

Quand les hommes te portent
Comme clairon et bannière
Souvenez les que
Tu n’es que barrière
À leur rivière de sang.
Que tu sois blanche,
Que tu sois noire,
Que tu sois brune ou claire,
Tu es protectrice, tu es lumière.
Alors! Résiste à tous ceux qui
T’usent, t’utilisent et te mésusent
À des fins sombres et mortelles.

Mais méfie-toi.
À l’heure inopportune
Quand on te tire aux quatre vents
Pour barrer la force
De leur chimères, de leur colères.
Et, quand ces frères et adversaires
Ne se ressemblent guère,
C’est toi qu’ils choisiront
Pour justifier leur guerre.

Méfie-toi!
Peau.

—Vilvalex Calice

Poème de Lamartine Valcin

À la perle des Antilles

Haïti chérie, Haïti Thomas,
Autrefois tu étais si merveilleuse
Que le soleil et la lune combinaient leurs faisceaux lumineux
Pour te concurrencer.
Ta douce mer reflétait le bleu parfait de ton ciel radieux
Ses vagues et tes palmiers gigantesques
se sont ligués
Pour chanter à l’unisson bienvenue au paradis tropical.
Tes pipirites annonçaient le jour, tes grenouilles le coucher du soleil
Ta brise rendait si léger qu’un papillon de la Saint-Jean.
Aucune femme n’était comparable à toi, beauté créole.
Tes longs cheveux noirs étaient miroir des anges,
Ton visage rayonnant, source d’inspiration,
Tes yeux marrons, soleil des caraïbes,
Tes dents blanches, tes gencives violettes,
Ta couleurs café et ta forme coca inspiraient
Les créateurs de coca cola.
Ô Haïti tu étais si jolie, si élégante, si captivante
Que tous les regards étaient fixés sur toi.
Tu étais la femme convoitée la terre à découvrir.
Tu attirais des hommes venus de très loin.
Ils t’ont fait la cour, ils se montraient gentils, sympas, attentionnés.
Tu étais naïve et tu as succombé à leur charme.
Ils ont profité de toi et pillé tout ce que tu possédais.
Ils t’ont mise enceinte et tu as accouché de très mauvais fils
Qui passent leur temps à s’entredéchirer
Sans se rendre compte que tu as le cœur blessé
Que leur disputes insensées t’ont infligé
Un cancer de division.
Ils font semblant de ne pas voir ton état.
Et pourtant tu flirtes avec la mort
Comme une fille de seize ans
Se jette dans les bras de son petit copain.
Tu veux nous quitter car tu es persuadée qu’on ne veut plus de toi.
Ta beauté devient plus pâle qu’un linge délavé.
Ton soleil plus sombre que la lune.
Tu as perdu ta couleur
Et tes cheveux chutent comme un airbus en difficulté.
Ô Haïti tu deviens méconnaissable.
Tu n’es plus du tout la même.
Ton état s’aggrave seconde après seconde.
À deux siècles, tu es déjà comparable à une vielle république délaissée
Tes bons fils jettent l’éponge les uns après les autres
Moi aussi j’ai failli à mon devoir en te quittant
Mais, quand je te vois couchée sous cet arbre à moitié desséché,
Incapable de bouger, piétinée par tes propres enfants,
je veux que tu saches
Que j’ai le cœur aussi gros que le tien, ma douce nostalgie.
Non Haïti, tu ne mourras pas
Tiens bon!!! On va te sortir de là.
Même s’il faut qu’on fasse le tour du monde dans un yole
Pour chanter tes merveilles en créole.

—Lamartine Valcin

Poèmes de Maxo Marseille

Haïti mater dolorosa

Zut! Tonnerre de Dieu!
Qui donc l’avalisera?
Incroyable diriez-vous?
Et pourtant c’est de l’or pur extrait des logiques du temps

Je suis cette femme
Cette métaphore inconnue
Cette héroïne abîmée qui de l’existence a gravi tous les calvaires

Le souffre du destin m’a versé sa souffrance
Depuis, je demeure immobile, accablée par le poids des Circonstances dramatiques

Les dieux, les anges, les amis, les secours
Ils s’en foutent tous me laissant seule
Dans ce dédale obscur de peines et d’ennuis,

Rongée par la morsure venimeuse
Des comédies tragiques de mes progénitures
Ma folle face de violence
Déchirée par les griffes de la misère
Se trahissant ridiculement

Dans les coordonnées nostalgiques de mes rides
Se cabre à présent pour vider mon sac
Déjà de trop de faiblesse
je m’accuse de m’être trop longtemps recueillie
Car je n’ai pas semé le vent,
pourquoi récolter la tempête

Oui, je suis déçue
À vomir ces blasphèmes, mon cœur pleure d’horreur
Qu’on se moque de moi, qu’à cela ne tienne
Car, après un silence bicentenaire

Je n’ai pas réussi à me tirer d’affaires
Je me regarde dans mes paupières
Vivoter en plein vide
Traînant sans cesse mon cortège de misère
Derrière l’ombre du désespoir

Pour fuir mes douleurs séculaires
Battue par les flots de mauvais océans
Je suis tombée dans les traquenards de l’existence
Et les ombres de mes terreurs ont éteint le soleil de mes délices

J’ai crié, j’ai hurlé
À mes cris d’angoisse que nul ne voulut entendre
Il n’est que des maux hélas sans suite

Laissez-moi donc trahir mon silence
Exposer ma douleur aux caprices du temps
Tambouriner mes plaintes aux oreilles de l’univers

Peut-être quelque inconnu
Me voyant de guerre lasse
Se hâterait de m’atteindre
Pour prendre acte de mes doléances
Et me faire don de sa largesse

—Maxo Marseille

Poèmes de Bobby Paul

Non-titré

Demain soir ce sera la danse
Je te prendrai dans mes bras
et nous danserons,
danserons tout autour
des contours
du poteau-mitan.

Le rythme des vagues,
nos râles,
rauques,
en rut
au sol dénudé,
traîneront nos deux corps
assoiffés de bonheur vers l’ivresse.

Et, au beau milieu du temple en feu,
un doux baiser placera au solstice
le rêve de cette grande soif.

L’été dans nos yeux,
en dehors du temps,
perdurera longtemps
dans nos gémissements,
dans nos ruades,
dans nos joies,
pour les caprices
d’un bonheur si attendu.

Nos souffles mélangés
ce soir seront, en douceur,
un long hymne
aux arbres,
aux fleurs,
à l’eau,
au feu,
et à la fertilité
de nos paroles qui se font chair.

Ah demain soir!
Demain soir mon amour,
nous serons au centre de nos sens,
je serai au beau milieu
de la plus douce des blessures,
et tu danseras,
danseras,
tout autour
des contours
de mon poteau-mitan.

(2006)

Grondement de conque

cri lourd de révolte
bruit sourd de rassemblement
moment de vérité pour les preux
brave instant de liberté

ibo déchaîné
nu dans l’ombre
siffle ta vaillance
siffle ton humanisme
siffle ton égalité
siffle pour la liberté

le jour
les insensibles habitations
ont des oreilles qui écoutent

la nuit
les cannaies amères
ont des âmes qui gémissent

siffle ta conque
siffle haut tes peines
en transe sont les tam-tams
et les cliquetis des chaînes

ô marron inconnu!
siffle haut ta conque
siffle fort ton cœur

siffle
siffle
siffle pour la liberté

(2008)

—Bobby Paul

Poèmes de Tontongi

La mort de Papa Doc

C’était une de ces matinées
Du printemps des Antilles.
Matinée chaude? Matinée froide?
Peu importe. Dans les Antilles,
Ces changements ne font pas de saison!
C’était le printemps de l’automne,
L’été de l’hiver.
Tout le temps on est chez soi.
Et le soleil est toujours présent au rendez-vous.

Pourtant un beau matin… Bigre!
Quoi? C’est l’hiver!
Mais… on est au cœur des Pyrénées!
Et un cri sourd, comprimé mais urgent
De «Mets ton manteau! Allume le chauffage!»
Se fit entendre.
Hélas! Nous étions plus dépourvus que le vide!
Le tyran nous paraissait aussi immortel que nos maux.

Or le glas de la mort atteint les oreilles les plus sourdes,
Fussent-elles celles de Gengis Khân.

—«Hé, hé, chut! Tu te réveilles, Eddy?»—

Je sentis encore sous ma peau
Les touches hésitantes et interdites
Des doigts de ma mère me réveillant:

—«Il… lui… on dit… chut!

Tu sais?… lui… Papa Doc, on dit…
On dit qu’il est parti… parti!—»
Par ces mots j’ai compris
Que la galaxie avait perdu une étoile,
Son étoile avait filé, «zetwal li te file!»

C’en était bien ainsi
Papa Doc se trouvait bel et bien
Dans son Fort-Dimanche naturel!
Oui, enfin, «Il» était mort.
Haïti n’a de son histoire vécu une journée aussi terne,
On dirait que ce peuple n’eût jamais existé.
Nous vivions par routine.
(La mort d’un tyran a ce paradoxe
Qui la rend semblable au paradis perdu:
Elle nécessite une nouvelle existence).

Ah! Que l’Histoire est capricieuse!
Le vautour a accouché d’un monstre.
La mort de Papa Doc nous fut ressentie
Comme une délivrance dénudante.
C’était un bourreau. Un de nos bourreaux.
Une sorte de père sadique.
En un vingt-quatre avril la nation se déphasait
Par une transsubstantiation profonde;
Le peuple tout entier devient un cimetière
Pour recueillir les dépouilles de son tourmenteur.
Ah! Papa Doc, notre grand papa caca,
Tu avais oublié qu’un peuple
Ne se rend jamais avec son tyran,
Fût-il ce complice et ce père que tu prétendais être.
Nous ne mourons point avec toi
Mais reçois nos larmes
Elles sont chaudes et sincères
Nous pleurons en toi l’homme qui pouvait être mieux
Que ce qu’il était.
Faute de l’autre moitié de ton âme
Qui inspire encore les choses,
Nous te disons: Que ton corps repose en paix!
La paix de la damnation éternelle!

(Paris, février 1976)

Les gloires du Sarkozy

Il est marrant le Sarkozy
s’il est vraiment vivant
et pas un vain vaillant.

Il a le don le Sarkozy
même en dehors de son élément
le dix-neuvième siècle a eu
son Ab Lincoln et son Fred Douglass
la Cinquième République a eu
son de Gaule et son Mitterrand
son Georges Marchais et son marrais
aujourd’hui nous avons nous
le Sarkozy et le Bushman
la vie est pleine de splendeurs.

Il est différent le Sarkozy
parce qu’il se fout bien des étiquettes
des protocoles et des qu’en-dira-t-on
il a sa fabuleuse beauté éblouissante
ses amis milliardaires et son cafard
et ça le rend plus disturbant le Sarkozy 1
parce qu’il a son stylet à la Bourse
parce qu’il a son doigt sur la gâchette
et ses bâtards et éplucheurs en haut lieu
à travers la planète
et dans notre inconscience.

Il est plus redouté le Sarkozy
parce qu’il a le langage quotidien
la peine et la fuite et l’ennui
l’honneur et l’instant creux.
Il est dangereux le Sarkozy
parce qu’il est élégant
et en fonction
en charge de la damnation
comme de la rédemption.

Il est marrant le Sarkozy
s’il est vraiment vivant
et pas un vain vaillant.
Il est marrant
et fait la poulette cascadant
dans les saisons grasses
et dans les grosseurs de l’Euro.
Il est marrant
et fait les travailleurs s’effondrant
dans les abîmes du Smic 2
quand ce n’est dans le chômage.

Il en a marre le Sarkozy
parce qu’il se fout des immigrés
comme des souf-nan-tyou de partout 3
venant de nulle part le Sarkozy
il veut tout de même être le centre
l’écosse de la légitimité
farceur en haut lieu.

Il a choisi la France impériale le Sarkozy
contre la République souffrante
Hollywood aux marécages de Marseille
Clichy-sous-Bois à la bravoure de Carthage
Versailles à Montpellier,
Il ne sera pas là, le Sarkozy
quand les gémissements changeront en grondement
quand l’assaut se mènera contre la nouvelle Bastille
quand les exploités réclameront justice.

Seuls seront là pour le Sarkozy
la confrérie globaliste du Wall Street
les zotobrés de Furcy en vacances 4
les barrons de la fraternité pétrolifère
ceux qui brûlent tout pour sauver leur input
et ceux et celles qui regardent la télé
et s’enchantent joliment
sur les gloires de Sarkozy
et sur la sainteté de Diana.

Il est marrant le Sarkozy
mais nous resterons là vigilants
veilleurs de nuit du vol au grand jour.

—Tontongi juillet 2008

(1) Néologisme crée par l’auteur, provenant de l’anglais “disturb” qui signifie “déranger”, “troubler”, ici dans le sens de “dérangeur”.

(2) SMIC: Salaire minimum interprofessionnel de croissance.

(3) Souf-nan-tyou, mot créole signifiant “prétendant”, “curieux” ou quelqu’un qui se mêle des affaires des autres.

(4) Du mot créole “zotobre” signifiant “richard”, ici francisé par l’auteur.

Entre deux saisons

Il n’y a pas longtemps la sueur
en sillonnant mon front
crachat du soleil excité
me fait jouir du vent doux.

Même la mer rugit
pourtant recluse retorse
du charme d’Héphaïstos
et de Papa Loko le téméraire
j’adore bien l’embrassement
de l’envoûtement inaperçu!

Elle a certes duré
l’éternité de désirs non comblés
mais l’émerveillement du moment
comme à l’accoutumée revient
dans l’inattendu de l’oubli
la face hideuse de l’automne.
Cyclique la nature capricieuse
pourtant encore garde son culot
le froid reparaît un matin
et m’étant habitué au rêve
je retiens le bonheur
compas inversé du détour du néant
comme mon horizon.

(Septembre 2008)

—Tontongi

Poèmes d’Edner Saint-Amour

La mélancolie des poètes

Certains poètes s’inspirent de la mélancolie
en mettant le souci au plein centre de leur vie
La vie du poète passe, sans même avoir vécu
comme le temps qui passe, le poète est vaincu
2
Certains poètes s’inspirent de la mélancolie
en mettant la peine au plein centre de leur vie
La vie du poète passe, sans même avoir vécu
comme le temps qui passe, le poète est vaincu
3
Certains poètes s’inspirent de la mélancolie
en mettant le drame au plein centre de leur vie
La vie du poète passe, sans même avoir vécu
comme le temps qui passe, le poète est vaincu
4
Certains poètes s’inspirent de la mélancolie
en prenant la douleur comme repère de leur vie
La vie du poète passe, sans même avoir vécu
comme le temps qui passe, le poète est vaincu
5
Certains poètes s’inspirent de la mélancolie
en prenant la souffrance comme repère de leur vie
La vie du poète passe, sans même avoir vécu
comme le temps qui passe, le poète est vaincu
6
Certains poètes s’inspirent de la mélancolie
en prenant la tristesse comme repère de leur vie
La vie du poète passe, sans même avoir vécu
comme le temps qui passe, le poète est vaincu
7
Certains poètes s’inspirent de la mélancolie
en prenant le malheur comme repère de leur vie
La vie du poète passe, sans même avoir vécu
comme le temps qui passe, le poète est vaincu
À tous ces chers poètes qui se voient dans le deuil
j’aimerais prodiguer ou lancer ce conseil
8
La vie passe sans retour,
jouissez des instants du jour
Chaque instant est précieux,
il est bon d’être heureux

Tristesse comme déesse

À travers les horizons romantiques
où l’on fait vibrer la corde lyrique
certains poètes servent la tristesse
qu’ils adorent au rang d’une déesse
2
Ils passent tout le matin
à s’enivrer du chagrin
Ils font de la tristesse une princesse
qu’ils chérissent, qu’ils caressent
3
Ces poètes passent tout le jour
à s’enivrer de peine tout au autour
Ils font de la mélancolie
une compagne de la vie
4
Ces poètes passent toute la journée
à s’enivrer de la source du cœur brisé
Ils font de la tristesse une princesse
qu’ils chérissent, qu’ils caressent
5
Ils passent tout l’après midi
à s’enivrer du dard des soucis
Ils font de la mélancolie
une compagne de la vie
6
Ils passent tout le soir
à s’enivrer du désespoir
Ils font de la tristesse une princesse
qu’ils chérissent, qu’ils caressent
7
Certains poètes passent toute la soirée
à s’enivrer de la source du cœur brisé
Ils font de la mélancolie
une compagne de la vie
8
Ces poètes passent toute la nuit
à s’enivrer du dard de l’ennui
Ils font de la tristesse une princesse
qu’ils chérissent, qu’ils caressent
9
Ces poètes passent tout leur temps
à s’enivrer de la fureur de l’ouragan
Ils font de la mélancolie
une compagne de la vie
10
Ces poètes passent toute leur vie
à s’enivrer du fiel de la mélancolie
Ils font de la tristesse une princesse
qu’ils chérissent, qu’ils caressent

(décembre 2006)

Le romantisme négatif

On ne vit que pour verser des larmes
tout est réduit à la peine et ses vacarmes
Souvent on se plaint de la souffrance
mais toujours dans une parfaite complaisance
2
Nous ne sommes pas des victimes sans défense
condamnées au culte de la souffrance
Tout dans la vie n’est pas fiel
Il existe aussi du miel
3
Les vers et les rimes de nos poèmes
sont tannés de l’éternelle rengaine
qui enfonce dans la mélancolie qui entraîne
dans l’étreinte complaisante de la peine
4
Le romantisme a bouclé le cycle de son ère
où l’on parle de la peine et de son calvaire
une émotion négative toujours recherchée
avec une complaisance combien effrénée
5
Frayons d’autres horizons à l’aventure
où l’on peut contempler la beauté de la nature,
les astres à travers leur splendeur
et respirer quelque bouffée de bonheur
6
Descendons du carrosse de la tristesse
qui roule à l’essence de la détresse
Montons abord de la nature dans sa splendeur
pour respirer quelque bouffée de bonheur
7
Descendons du carrosse de la mélancolie
qui nous ensorcelle de maladie
écrivons de nouvelles pages d’aventure
où l’on s’inspire de la beauté de la nature

—Edner Saint-Amour

Poèmes de Jean Saint-Vil

Dans les bras de Morphée

Quand l’homme baille,
La nuit venue braille si fort
Dans ses entrailles
Qu’il n’a d’autre choix
Que de verrouiller
Portes et fenêtres
Et de fermer la parenthèse
Du jour qui tire sa révérence.

(le 20 avril 2008)

Femmes au vent

J’aime le vent turbulent
Qui s’en prend à vos jupes
Pour dévoiler à tout venant
Une parcelle de votre charme.
Ça peut aller très loin
Jusqu’à l’extrême limite
Qui livre aux yeux heureux
Les monts et les merveilles
Que vous cachez à tort
Comme des jardins secrets
Qui tantôt sont hirsutes
Comme des forêts vierges,
Qui tantôt sont tondus
Comme des pelouses rasées.
Le vent qui vous aère
Et soulève les montagnes
Dans les aires des lingeries
Jusqu’à la peau des fesses
Comme une douce brise
Qui saute aux yeux des hommes.

(le 18 février 2008)

Nœuds d’amour

La nuit veut que
Les corps s’assemblent
Pour s’emballer
En nœuds d’amour,
Dans les contours
De leurs épures,
Comme un cadeau
Qui tombe du ciel,
Glissant des mains
Comme un éclair.

(le 26 avril 2008)

Réponse de femme

Si elle dit oui,
C’est loin d’être sûr.
Si elle dit non,
C’est sûr que c’est non,
Et sans appel.
Si elle dit peut-être,
On ne peut savoir
Sur quel pied danser,
Car ce n’est pas oui.
C’est presque non.
Sans illusion pour tes illusions,
Sûre et certaine
Que ce n’est pas oui,
Mais sans dire non.

(le 20 mars 2007)

Permis d’aimer

En pleine nuit,
Entre hommes et femmes,
Tout est permis,
Jusqu’à l’orgie,
Pour le plaisir
De se trémousser
En ronds de jambe
Et de s’arc-bouter
En tours de rein,
Rien que pour s’aimer,
À tout casser,
Jusqu’à leurs lits,
Au plus profond
De la vague de fond
De leur amour.

(le 14 avril 2008)

Le poète est mort. Vive le poète!

Poids lourd des mots suaves et légers!
Mais lourds de sens et de conséquences,
Qui tirent à vue, à boulets rouges
Contre le racisme et l’injustice,
Dans les combats de guerre et de paix
De tous les dangers des peuples noirs,
Souffre-douleur partout sur terre,
De l’Angola à la Guyane, via le Harlem et le New Orléans,
Ces hommes-panthères, ces hommes-hyènes,
Assimilés, acculturés, déracinés, colonisés…

Césaire est mort!
Un grand poète s’en est allé,
Chantre passe-partout de la Négritude.
Une grande pointure, semeur d’espoir,
Toute une vie: pure poésie,
En lettres éternelles.
Tantôt discours contre les colons,
Tantôt cahiers pour le retour en terre natale,
Et tantôt fin de non-recevoir.

Laisse-nous les clés de la Négritude!
Et ouvre grand pour les Noirs martyrs
Qui ne tiennent plus sur leurs genoux,
La porte étroite de l’ouverture et de la tolérance.

(le 17 avril 2008)

Les nuits sont bonnes à prendre

Les nuits sont bonnes à prendre,
En sautant un à un les verrous
Des bretelles aux jarretelles.
Pour se dire et redire en duo
Les mots doux qui ne se disent
Que dans le creux d’un pucier.
Pour faire crisser les draps
Dans des passages en boucle,
Silencieux comme des nuages
Qui précèdent la tempête.
Pour rouler à tout va à cœur joie
Et monter en puissance
Sur la voie éthérée de la jouissance
Jusqu’au bout du plaisir.
Pour injecter une sève
En grosses gouttes d’amour
Qui sèmeront la vie
Au cœur des forêts noires
Comme des ombres de montagnes
Qui descendent vers les plaines.

(le 12 juillet 2008)

—Jean Saint-Vil

Poèmes d’Astrid Fouché Gardère

À toi Toussaint Louverture

Précurseur de l’Indépendance,
Tu constitues un élément majeur
De notre histoire de peuple.
Après des siècles de sueur,
L’âme de feu que tu nous as transmis,
Attend toujours la rosée de l’aurore.

La somme de souffrance,
Endurée par notre peuple,
N’a pas su altérer notre amour
Pour toi, frère stratège.

Général noir, tu as creusé
La source où s’abreuve notre peuple,
Martyrisé, mais toujours assoiffé
De Liberté, d’Égalité et de Fraternité.

Esclave de Bréda,
Victorieux du scandale de la bêtise humaine,
Tu as nourri notre volonté
De vivre libre.

En te déportant et en t’enfermant
Dans cette ignoble geôle de Fort de Joux,
On n’a pas su arracher
De notre cœur les liens qui nous unissent.

Ton courage, farouche défenseur
De droits humains,
Constitue le rythme encore fiévreux
De notre cœur de peuple nègre.

Premier des Noirs,
Ton œuvre
À une portée
Universelle.

Commémore avec nous
Le printemps de la Paix,
En blanchissant de joie ruisselante
Ces sacrifices qui ont marqué
Notre Patrie meurtrie.

Haïti

Haïti,
Matrice des droits humains,
Nourrit d’une moelle vodouesque,
D’un pas solennel,
D’une voix juste et rythmée,
Sur l’arène de l’histoire,
Offre à l’humanité
Toute entière,
Sa coupe d’amitié
En lieu et place
De ce ciboire de souffrance
Orné de mille et une embûches
De tes puissants ennemis.
Le chant de ton sang dans nos veines
Crie la flamme de notre âme de peuple.
Et tes belles fleurs,
Noires, brunes et blanches
Chantonnent ta soif
De Liberté, d’Égalité et de Fraternité.
Haïti,
Haïti,
D’une voix de gloire
Nous t’offrons
Un arc de triomphe.

(1 janvier 2004)

Jérémie

Petite ville envoûtante,
Assise au pied d’une montagne,
Baignant ses pieds dans l’eau,
Sous une pluie caressante,
Bras en croix et cœur ouvert,
Tendait à l’empirée ses mains
Pour me serrer en son sein.
Sa féerie me troublait.
De sa plus haute tour,
Je buvais de sa divine mélodie.
J’aurais voulu m’incruster
De sa mystérieuse profondeur
Pensée enivrante!
Joie délirante!
Sa magie avait conquis mon âme.
Allongée dans les noirceurs de ses entrailles,
Une cloison étanche,
M’empêchait d’atteindre
La béatitude de sa secrète solitude,
Pour embrasser
Son aria de magnificence.
La suavité de son silence
Avait fini par vaincre le temps
Emportant tout au vent.

L’homme et Dieu

L’homme rédige les lois,
Charte, Code, Constitution,
Avec des spécifications bien différentes.
Mais pourquoi, pourquoi
Cette différence d’une nation à l’autre?

L’homme trace les frontières,
Bornes, villes, zones,
Avec des tracés bien différents.
Mais pourquoi, pourquoi
Cette différence d’une région à l’autre?

L’homme façonne les religions,
Catholique, musulmane, protestante, vodoue,
Avec des croyances bien différentes.
Mais pourquoi, pourquoi
Cette différence d’une religion à l’autre?

L’homme invente la monnaie,
Dollars, francs, gourdes, pesos, yen,
Avec des valeurs bien différentes.
Mais pourquoi, pourquoi
Cette différence d’une valeur à l’autre?

Dieu créa l’arc-en-ciel d’humains,
Blancs, jaunes, noirs, rouges,
Des êtres dotés d’intelligence,
Avec le même esprit,
Sans distinction,
Sur l’unique terre
Devant combler tous leurs besoins.

Mais pourtant, pourtant
Ils ne mangent pas tous
À leur faim

Mais pourtant, pourtant
Ils n’ont pas tous
Un toit.

Mais pourtant, pourtant
Ils ne sont pas tous
Instruits.

Mais pourtant, pourtant
Ils ne sont pas tous
Traités lorsque malades.
Mais pourtant, pourtant
Ils ne peuvent pas tous
Aller et venir.

Mais pourtant, pourtant
Ils n’ont pas tous
Les mêmes droits.

Mais pourtant, pourtant
Ils ne sont pas tous
Heureux.

Mais pourquoi, pourquoi
Pourquoi, pourquoi?

Dieu aide-moi
Dieu aide-moi
Aide-moi
Aide-moi à trouver la réponse
À donner à l’homme.
Il risque de m’en vouloir,
De me châtier,
De me faire mal,
De me détruire même,
Si je ne lui trouve pas
Une satisfaisante réponse.
Dieu aide-moi.
Dieu aide-moi.
Aide-moi.

(Août 2008)

Qui sommes-nous?

Nous sommes nés dans un pays
Qui s’appelle HAÏTI
Nous sommes nés dans un pays
Qui s’appelle PERLE des ANTILLES
Nous sommes nés dans un pays
Chaude terre, bleu ciel,
Brillant soleil et rouge lune.

De l’Afrique,
Nos ancêtres ont étés importés.
Esclaves, nous sommes devenus.
Comme des bêtes nous étions traités.
Nombre d’entre nous souffrirent mille morts,
À fond de cales, enchaînés,
Mer houleuse devint tombeau.

Puis, ce fut la révolution.
Allégresse! Allégresse!
Noyées, tristesse et peur.
Libres, libres, nous l’étions.
Par-devers tous, pardon accordé.
Hache de guerre enterrée,
En paix, nous voulions vivre.

Aspiration légitime!
Criante vérité pourtant!
Mais idéal bafoué, par ceux, vengeurs,
Voulant notre destruction.
Pour la détruire alliance macabre.
Armes modernes utilisées:
La faim, la drogue, la corruption, la violence.

Cohue, cœur affligé,
Tragique désolation.
Explosive havre de bonheur, rendu,
De toute part, attaqué.
Pour nous défendre
Bouche mitrailleuse
Et plume mordante.

(Montréal, 8 Juillet 2008)

—Astrid Fouché Gardère

Poème de Jean-Dany Joachim

Mon pays vient du ventre de l’eau

Mon pays vient du ventre de l’eau.
Personne mieux que lui ne connaît
ses caprices,
ses changements d’humeur.
C’est avec ses vagues qui viennent lui chatouiller
les pieds qu’il apprit à danser.
C’est aussi son miroir, pour se voir
ranger son maquillage
ou faire le constat de ce qu’il lui reste:
ses mornes dévastés
ses arbres disparus
son corsage grand ouvert au soleil…

Et le soir quand le ciel est en fête
c’est de là que lui viennent les éclats de couleur.
Mais quand le vent fait à sa tête
et fait la guerre aux nuages.
Quand toutes les eaux du ciel
s’acharnent sur mon petit coin de pays,
et quand les vagues mugissent autour de lui
il tremble, et se sent trahi.
L’eau lui arrache ses vêtements,
emporte ses enfants,
lui tord les tripes,
et lui lave ses pleurs…

Le pays d’où je viens
vient du ventre de l’eau,
il connaît ses joies,
il connaît son mépris.

—Jean-Dany Joachim

Poèmes de Régine Beauplan

Un certain dimanche de Pâques

…Ce soleil qui nous éblouissait sur le parvis, à la sortie de l’église Christ Roi… Nous étions toujours nombreux, tout endimanchés. On s’en retournait à pied, d’un pas léger et preste, avec le sentiment d’être soudainement tout neuf; et avec la hâte au cœur de revoir grand’mère pour sa-visite-spéciale-du-dimanche-de-Pâques-après-la-messe, parée de ses plus beaux bijoux-krizokal* et poudrée comme un bébé-grand’mère-santi-bon-toute-frippée, frais-sorti-du-bain ou encore comme une «zezwa», toute blanche; l’amusant contraste de la poudre de talc sur sa peau d’ébène.

Ah oui… et ces bonbons-dragées-toutes-couleurs qui s’accordaient à celles notre nouvelle robe toile-coton-avec-jupon cousue par maman… à porter (ou encore peut-être, à endurer) dignement pendant toute la journée, en gardant souliers et chaussettes… Et gare au coulis des graines de quenèpe-qui-tâchent! Et puis le cola. Le cola auquel nous avions droit dans un verre-avec-glace* pour couronner le riz-pois-France-avec-sauce-d’un-poulet-entier-qui-manquait-toujours-une-cuisse-ou-un-zè*, mais qui pouvait toujours nourrir toute la tablée… et plus même.

L’après-midi se déroulait dans l’allégresse et l’insouciance. Tout est possible lorsque c’est encore congé le lundi de Pâques. Nous jouions à lago-kache et nos visages maintenant reluisant (de sueur) comme des «soud»-salamandres avaient tôt fait de regagner leur fraîcheur avec un peu d’eau fraîche et une couche de poudre de bébé lorsque le calme était retrouvé.

Oui… Pâques… les dimanches de Pâques. Je me souviens. Pâques, c’est aussi l’arrivée du printemps; le temps du renouveau. Eh oui, la nature se régénère…

—Régine Beauplan

*Krizokal: imitation or
*zèl: aile
*glace: glaçons, cubes de glace
*soud: salamandre

Il y aura

Il y aura le parfum des roses,
Il y aura l’eau fraîche
et des pétales de fleurs

Il y aura la lumière du jour
à travers les rideaux clairs
et des témoins invisibles

Il y aura nos caresses…
tes lèvres chercheront les miennes
ton ventre glissera sur le mien

Il y aura nos soupirs…
ton corps appellera le mien
et je te répondrai

Il y aura la tendresse
il y aura l’amour
et notre battement d’ailes s’inscrira dans le ciel

il y aura nos yeux fermés
pour goûter au silence et s’abandonner heureux
il y aura un instant pour faire mourir le temps

Il y aura la plénitude de nos corps enlacés
il y aura le silence
il y aura… un brin d’air frais…

Perdre le nord

Perdre le nord
Pour renaître demain
dans cet ailleurs lointain
conquérir ce grand ciel
au-delà du connu

Oublier de mourir
Pour rêver à l’aurore
libre comme un oiseau
qui ne s’arrête jamais
l’horizon est sans cause

Faire des rêves debout
Pour faire un pied de nez
aux étoiles en plein jour
qui nous regardent toujours
par-delà le grand jour

Magasiner sur la lune
Pour ramener ces fous rires
et des promesses d’étoiles
qui sèmeront leurs éclats
quel que soit le jardin

Grimper sur un amandier
Pour y cueillir des feuilles
y écrire des poèmes
qui voleront au vent
par-delà l’océan

—Régine Beauplan

(Les deux derniers poèmes sont tirés du recueil Quelques feuilles d’amandier, Lanctôt, Montréal, 2006)

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