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Poètes Haïtiens

Extraits de l’anthologie Montréal vue par ses poètes, publiée en 2006: Lenous Suprice, Fayolle Jean, Gary Klang, Manno Ejèn, Rodney Saint-Éloi, Franz Benjamin, Henry Saint-Fleur, Henri-Robert Durandisse

Lenous Suprice

Né à Fonds-des-Blancs (Haïti), Vit à Montréal. À publié quatre recueils de poèmes: Rêverrant (1990), Bwamitan (poèmes en créole, 1993) à Montréal aux Éditions du CIDIHCA, Pages triangulaires (1994) à Montréal aux Éditions Des Intouchables (Collectif d’auteurs). En jambant le vent aux Éditions Humanitas (printemps 1997); L’île en pages, Mtl. Humanitas(1998).

Sauvages Blackberries

Des gerbes de pierres en mes yeux apatrides par usure devenus
semblables aux mains de ces enfants frondeurs en bout du monde
bellement s’activent contre les mille et un fronts
d’un certain mercenariat en tes murs indomptés

Je dessine même une forteresse au fond des souvenirs
Our interdire l’espace aux affres qui crachent
Au visage d’un certain ton de voix vers changement

En toutes saisons
du Mont-Royal étant
il y a des ruines qui s’enfoncent
jusqu’au bout
dans l’enceinte d’une flamme assez dense
d’où je t’observe en passant à perte de vue.

Il y a des bouts te dis-je que l’on perd
Ici ou ailleurs
à trop vouloir chercher l’insaisissable
dans chaque battement de cils d’un vis-à-vis.

Sans succès
je prie une courtisane belle
par inadvertance en cage derrière toi
de me laisser courir en ton sein
comme quand j’étais enfant
après les invisibles chevaux d’un épanouissement

Fayolle Jean

Fondateur du Théâtre libre d’Haïti au Québec et des Productions Cimage Québec. Comme poète, il a publié Symphonie pour une cellule (1983 Collection Poésies Demain), Tenue de ville (1991 Editions Cimage Québec), Fables Propos 7 (2005), Complice des voyelles (livre-disque, 2005, Productions Cimage Québec).

Montréal en jupon-volant

Sans façon l’été prenait ses aises
Au vert soleil des arbres musiciens
Tandis que ma promise m’attendait
Dans un courant d’air
Ma joie s’est faite dentellière
En mille et une rues
Où passe l’amour les seins livrés au bleu des cieux
Où passe la femme le flirt pieds nus dans le regard
Où passe et repasse celle qui revendique
M’agace, se trémousse, chevauche mes syllabes
Comme un murmure
Tandis que Montréal m’attendait dans un courant d’air
Toutes les joies se donnèrent rendez-vous
À mon poème
Circoncision des alibis
Bravant le sexe de la pluie sous ma fenêtre
Petit bonheur sculpté
Dans la soif des fontaines
Ma part de soleil suspendu au balcon
D’aussi près que les rires d’enfants
Montréal jazze mes mots
Et prend allure de cierge
Quand passe à vélo
La femme du copain d’en face
Quand passent et repassent M. Baudry le voisin de palier
Marie-Eve et sa chienne
Le livreur de pizza le camelot le facteur
Quand passent et repassent
Les rues jouant aux dames à chaque césure
Un parterre de tulipe à leurs pieds
Marteau-piqueur approprié d’aquarelle
Fardant au passage les joues du vent
Et c’est depuis déjà
L’été se prend pour Montréal…

Gary Klang

Romancier, poète, dramaturge et essayiste
Quelques uns de ses œuvres: Ex-île, poèmes, 1988, Je veux chanter la mer, poèmes, 1993, La terre est vide comme une étoile, poèmes 2000, Kafka m’a dit, nouvelles, 2004, Un homme seul est toujours en mauvaise compagnie (Mémoire d’encrier), 2005

La ville-neige

J’ai beau dire
Beau faire
Je n’en peux mais du faux-semblant
Les images se déroulent dans une foire
Où nul ne se souvient

Ni d’ici
Ni d’ailleurs

Et je répète
Que les jeux sont faits
Et que l’écart demeure

Mort en moi le passé
Je contemple des ombres
Et j’essaie quelques liens
Qui toujours se dissolvent

J’essaie
J’essaie
Mais rien n’y fait
La vie est là pourtant
Plus belle que dans l’île morte

Ou dans la ville lointaine

Ici tout m’est plus simple
Mais le manque est un non-dit qu’on ne pourra défaire
Peut-être après tout que le point n’existe pas
Où trouver l’équilibre

Ni d’ici
Ni d’ailleurs
Jamais je n’entrerai dans le grand jeu des masques

J’écris
Pour dire le creux
Le poids de l’être dans la ville-neige

Seule m’importe aujourd’hui la musique de la phrase
Dans la cacophonie du monde

Manno Ejèn

Vit à Montréal depuis 1975, actif dans le mouvement culturel et artistique communautaire. Est cofondateur du Centre d’études et de littératures créoles, Société Koukouy. Auteur du recueil de poèmes Ekziltik, (Éditions Koukouy,1988), l’une des premières tentatives d’écriture l’exil en créole. A reçu le Prix de poésie du Mouvement créole 1968 et le Prix Jacques-Stephen-Alexis de la nouvelle, 1998.

Oumenm Monreyal

mwen se yon nonm
avèk plizyè zile andedan-mwen
chaple madichon m’ ape woule

zile an lamadèl
grenn wowoli simaye
pou okipe tan-mwen

zile lamarèl alèn sale karayib
chanke chankre dechalbore
avèk kannaldivan nan mitan
bouras soufle an karanndiseyas
kòm revè kòm kompayèl

men oumenm Monreyal
Monreyal angran
odè sikre goute erab
ou marande-mwen Monreyal
ou andyoze-mwen
chamantize-mwen
ou tòtire-mwen antòtiye-mwen
rale-mwen menen vini
nan gou-ou Monreyal

mwen se nonm sa a menm
bannzil depaman
zile dwategoch m’ape pote
avèk divès kouran
an laviwonndede
tout kalte oseyan travèse
batiman gwetawoyo lage

pataje ant nan nò ak nan sid
tiraye ant lalin ak solèy
lewouj e lenwa toumante
m’ ape dangoye

oumenm Monreyal
metwopòl silemaskòp an koulè
an mizik an limyè
Monreyal dijtal festival
Monreyal djaze flaye
Monreyal blouz Monreyal wev
ou ponyen-mwen nan trip
trimen-mwen jouk opwèlyèm

mwen se yon nonm toutouni
divès zile abite
zile tranpe detranpe
k’ ape benyen nan dlo kò-li
men ki pa sa jwenn
twa degout pou pase swaf-li

yon peyi ki pa yon peyi
avèk lanèj vègla poudreri
lagrèl eslòch plivèglasant

yon kout dlo cho
yon kout dlo frèt

malgre tou sa Monreyal
nou gen anpil pou pataje
boukante bouch nan bouch

Monreyal souvnans
pi bèl istwa damou-mwen
semans-mwen jete fèy nan sen-ou
mistik kòdlonbrit-mwen debafre nan bra-ou
zobogri papa pepe ape dòmi trankil
nan zantray-ou Monreyal…

Rodney Saint-Éloi

Écrivain. Il publie une dizaine de recueils de poèmes, des essais sur la littérature et la peinture. Son œuvre est une lente traversée des villes, des fleuves et des visages. Saint-Éloi vit depuis 2001 à Montréal. En mars 2003, il fonde et dirige la maison d’édition Mémoire d’encrier, qui accueille l’œuvre des auteurs de diverses communautés culturelles: Afrique, Caraïbes et Océan indien.

Montréal

Les villes sont d’étranges bateaux
Les villes sont des oiseaux chagrins
Les villes sont le destin des arbres
C’est dans leur ventre que boit la mer

C’est dans leur panse que naît la terre
C’est dans leur main que pousse l’espoir

La ville a des odeurs d’amande
Le fleuve nu contraste les destins
Le souvenir d’un cours d’eau au nom de ciel
Le souvenir d’un ciel au nom de terre
Des rues au nom des sept miracles
Dans mes fugues j’ai perdu le nord
Dans mes mers j’ai perdu le sud
Je suis devenu moins qu’une rumeur
Je suis devenu la fatigue des vents

Il y a une ville et une légende
Il y a une terre et un ciel
Il y a un fleuve et une histoire
Montréal ville entre toutes
Montréal ville soleil gueule de bois
Montréal rire plus blanc que la vérité
Montréal mon Amérique bègue

Les villes sont des fleuves nommés DÉSIR
nous les traversons avec nos drapeaux
nous les traversons avec nos défaites
nous les traversons avec nos éclats
nous les traversons avec nos corps d’airain
nous les traversons avec nos tambours riants
tam tam
tam tam
tam tamant DEMAIN
tel le décret des peuples…

…Nous dansons toutes les danses
Et la mer en était témoin
Les mille collines de nos malheurs
jamais n’ont manqué à l’appel
Et nous dansons la danse de la vie
avec ce qu’il est de peine
nous chantons nos patries meurtries
avec la conviction du sable

Dans toutes les langues du monde
passent nos rêves
Dans toutes les langues du monde
passe l’enfance de nos émois

ombre noire ma solitude blanche
ô neige noire neige miroir
prends-moi par la main
parle-moi d’amour
comme une étoile chue

mes pays m’escortent dans mes errances
comme des rois fous
vois mes silhouettes vagabonder dans ces eaux grises

Nous disons honneur
Honneur Montréal notre Amérique
Répondez RESPECT
Nous apportons aux filles des colliers de roroli
des colliers tressés de la main de nos grand-mères

Nous amarrons sur le fleuve Saint-Laurent
les bourrasques de nos espoirs

Il y a une ville et un fleuve
il y a une ville et dedans
mon cœur comme une lettre à la poste
comme un conte qui ne sera jamais dit.

À Montréal il y a deux saisons l’hiver et nos amours…

Franz Benjamin

Poète et diseur, Franz anime les activités culturelles du Cercle du dire de Société Paroles. Comme auteur, Franz a déjà publié Légitime défense (théâtre) Valkanday (Éditions Paroles, 2000), Kaléidoscope, (Collectif, Presses de l’AGECR, 1992), Chants de mémoire (livre-disque, Éditions Paroles, 2003), Dits d’errance (Mémoire d’encrier, 2004). Ses textes ont été publiés dans plusieurs revues et journaux d’ici et à l’étranger.

Ma ville est un quartier de lune

je revendique ma part de lune
mon carré de rêve
à l’ombre des ruelles menant au Canal Lachine

Arômes des inventaires de soleil
vissés aux serres de mon enfance
je revendique ma part d’aube
ma quête d’azur
sous la charmille de l’exil
de mes îles qui passent
repassent

Alternance des rives
Des abat-jour de dimanche
Je suis assonance
Dans une ville étreinte de lune

Mille visages obliques
oboles
dispersées dans la nuit
ma ville me regarde
les yeux fermés

Montréal
ce cri qui m’entaille
qui décoiffe mon hiver
qui défrise ma soif
night by night
Montréal vertigo
quartier de lune
dyslexique aux semelles de l’ouvrage
fiancée de la brume

Au pied du Saint-Laurent
ma ville se pavane
les néons grands ouverts

Avenue des Érables
c’est ici que j’entends
battre le cœur de ma ville
au suintement d’une casserole
du glas qui me gèle les tripes

Au bord de la dentelle
de la faim qui harcèle
ma ville est subversive
dans toutes ses douceurs…

Henry Saint-Fleur

Vit à Montréal depuis plus de trente ans. Auteur de Transhumance: Poésie. Montréal: CIDIHCA, 1994…

Des mots et des chiens,
pour ne rien dire comme à l’accoutumé…

Les mille et une palpitations,
Tambour battant l’ombre profilée de ma ville
Hantent le toit de ta nuque;
Remplissent de mots la page criarde de mes cils.

Tes hanches de gratte-ciel
Zéro lune, mi-miel mais à temps partagé
Ensorcèlent la mie de mes lanternes de toile.

Voilà
Que je suis nu devant vous
Crucifié à chaux par le titre caché de ma vie.

Vie de rats et d’équinoxe
Où s’évapore au gré de mes paupières
Le labyrinthe de mes habitudes.

Me voici à nu devant vous,
Dis-je;
Respirant l’arôme du bitume
Assis entre le café d’un ciel bleu
et le miroir d’un rendez-vous raté.

Taisez-vous!!!
Le silence vous parle.

Décidément, entre Dieu et moi,
Il y a une herbe qui taille ses ciseaux de feu
Dans la baignoire de mes dérisions.
Hécatombe d’eau à la lisière de mammaire
D’où jaillit le jeu des échecs vifs
À la manière de qui perd… gagne.

Je liquide dos à dos les mots gommés
de mon passé à venir dans les limbes du désespoir.

J’écris,
Côté intime de mes tempes,
Le dire de mes lunettes d’aube.

J’écris aussi la douleur,
Chuchotant la dictée sourde de mon coude à dos
À chaque copulation.

Conformité de l’encre à ma langue de nylon,
Prise dans le garrot de mon miroir de papier
Laissé à nu comme à l’accoutumé dans le fin fond de mon enfance.

J’habille la voûte caverneuse de mes dix doigts
jusqu’au nombril de ma chambre
ouverte à l’enneigement tardif de tes reins,
encensés par la confluence vertigineuse de ton absence…

Le café du matin bitume blanc comme neige
La banquise acrylique du parquet aquilène
Dont tes kilomètres et des poussières de gémissements
Encerclent œil pour œil le ciel ardent
De la page inédite de mon poème.

…Toi, ma ville,
Maintes fois arpentées en quadrille et en croix,
Maintes fois souillées par nos pas bigarrés,
Maintes fois rêvées jusqu’à l’enlisement
Maintes fois détestées et aimées
Maintes fois caressées par des mots et des chiens,
Pour ne rien dire comme à l’accoutumé

Henri-Robert Durandisse

Il vit à Montréal

Montréal je te tutoie

j’arrive les yeux derrière la tête
sur le lit du Saint-Laurent
l’écho de mes souvenirs en rafales

j’avance
m’offrant entier à toi
sous l’œil angélique de l’aurore

Montréal
je me tiens devant toi
identité
sur ta voix de pierre taillée

Montréal à tes pieds
pas à pas flamme aux yeux langue pendante
tes bras pour apaiser mes peines

Caraïbes en berne sur la Rivière-des-Prairies
d’île en île
j’ai pris le détour de tes rêves

Montréal
parle-moi

Tes rimes tes vers peuplent mes songes
tes yeux m’exposent une histoire
tu es ce sourire qui m’illumine

Montréal
tes longs regards
je te tutoie

Henri-Robert Durandisse vit à Montréal depuis 1979. Il a publié en 2004 Amour, je te tutoie, un disque de poèmes. Il est membre fondateur de «Société paroles», l’organisme qui a initié le projet Montréal, vue par ses poètes. Gestionnaire de plusieurs projets culturels dont le spectacle « Cent-vingt façons de dire l’amour », 2007, Durandisse a participé à plusieurs récitals de poésie.

(extraits de Montréal vu par ses poètes, 2006)

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