Artistic panel composed by Michele Voltaire Marcelin, Brooklyn, New York, June 2020.
Parler du racisme d’une façon rigoureuse est un exercice pénible. Cela requiert l’ouverture d’une boîte de Pandore dans un sens, car les faits découverts ne seront pas agréables de part et d’autre et l’odeur dégagée sera nauséabonde et nauséeuse. Cependant, l’atmosphère du moment demande une telle conversation. Le racisme est une maladie contagieuse, car ses victimes se retrouvent dans les deux camps et parfois des célébrités vénérées ont souffert de ce mal si on prend le temps de vérifier les faits historiques et les documents disponibles.
Le 19 juin dernier marquait ici aux États-Unis l’anniversaire de Juneteenth1 2, le jour où en 1865 le général de l’armée fédérale, Gordon Granger, avait déclaré l’abolition de l’esclavage sur le territoire du Texas qui retardait à mettre en application l’Acte d’Émancipation des esclaves prononcé deux ans et demi auparavant par le président Abraham Lincoln. L’armée sudiste fut défaite en avril 1865.
Ainsi depuis 1866, cette date est célébrée comme date d’émancipation effective par la population noire ici aux États-Unis.
Malheureusement, en paraphrasant notre fameux orateur, Martin Luther King, nous observons avec beaucoup d’angoisse que ce chèque remis reste toujours sans provision. Le pays est déchiré par l’effervescence de la répression sauvage contre les Noirs. Ils en furent toujours victimes, excepté que de nos jours avec l’aide de la révolution technologique, un évènement peut être documenté sur le vif et sa divulgation facilitée par la transmission numérique. Il est devenu difficile de nier l’évidence ; ce n’est plus question de la version de la victime contre celle du représentant des forces de l’ordre.
Cet acte sauvage par un policier raciste contre Georges Floyd s’ajoute à une longue liste d’abus commis contre cette population pour aucune autre raison que la couleur de sa peau. Ce mois de juin coïncide aussi avec un autre acte meurtrier commis en toute impunité par une foule blanche contre la population noire à Tulsa, dans l’état de l’Oklahoma, entre le 31 mai et le premier juin en 19213 4 5 6. Cet acte barbare, on n’en parle pas, mais si un jeune Noir commet un simple délit, cela fait la une dans la presse et il risque de perdre sa vie. Le massacre qui s’est déroulé à Tulsa doit être connu de tous. Sous la fausse accusation qu’un adolescent noir, Dick Rowland, avait agressé une adolescente blanche, Sarah Page, une émeute a pris place. Un quartier noir huppé, connu sous le sobriquet de Wall Street en raison du succès commercial et financier de ce ghetto, fut systématiquement bombardé, mis à sec et à sac, avec la complicité de la justice à tous les niveaux. Il n’y a jamais eu une vraie investigation et les victimes n’ont jamais reçu de réparations. Les textes d’histoire contemporaine n’y font pas allusion. En janvier 1923, un autre massacre utilisant le même prétexte de l’agression d’un Noir contre une femme blanche a eu lieu à Rosewood7, dans l’État de Floride. Même accusation, même résultat.
Manifestants protestant à Boston le meurtre de George Floyd, juin 2020.
N’oublions pas le spectacle affreux du lynchage bien souvent en présence d’un public fanatique rappelant les Romains jetés aux fosses avec des fauves. La vue d’un corps pendu balançant à la branche d’un arbre a été immortalisée par la fameuse Billie Holiday dans la chanson Strange fruit8.
La violence policière contre un groupe ciblé a toujours été un moyen pratique et répandu pour la répression de cedit groupe. Dans le cas des Noirs, cette activité est très facile, car ils ne peuvent pas se dissimuler. Cette habitude n’est pas particulière à la société américaine et au sein de celle-ci n’est pas utilisée exclusivement contre les Noirs, mais dans la majorité des cas ils en sont les victimes. Les policiers réservent leur agressivité à ce groupe. Le même modèle se répète dans les pays avec des métis. De la Papouasie-Nouvelle-Guinée à l’Australie, de la Colombie au Brésil, la rengaine comprend les mots similaires. L’animosité du groupe au pouvoir contre un groupe est amplifiée par les policiers surtout si ce groupe est composé de personnes à l’épiderme foncé. Ceci en toute impunité.
Dans les pays vivant sous une dictature, la répression n’est pas moindre, la violence policière systématique et l’impunité garantie parce que le gouvernement approuve ouvertement ce comportement. La combinaison d’une culture de répression dans un pays métissé accouche d’une violence raciste chronique, telle que celle qui se déploie dans les favelas brésiliennes. La lutte contre les narcotrafiquants, un groupe de criminels dangereux, est devenue notoire pour ses excès de force faisant de nombreuses victimes innocentes parmi les enfants, adolescents, et les mères. Ceci en toute impunité, car les habitants des favelas sont en majorité métis et noirs.
Dans le « Nouveau Monde » le racisme n’est pas exclusif à l’Amérique du Nord. En Amérique latine aussi ont été déporté(e)s et esclavisé(e)s des Africain(es) dont les descendants résident en général dans les zones côtières. Ces communautés sont beaucoup moins développées économiquement et le niveau de pauvreté y est toujours supérieur à celui de la population blanche. Les Noirs et métis sont nombreux parmi les athlètes et travailleurs manuels, mais absents des professions bien rémunérées. Certains pays qui ont une population afro descendante assez substantielle comme le Pérou, l’Équateur, la Colombie, ont une pratique d’apartheid de facto et les Noirs sont invisibles dans la vie quotidienne.
Cependant deux pays représentent cette tendance à l’extrême : le Brésil et l’Argentine. Le Brésil, avec ses dieux du foot, une musique charmante et une influence africaine très prononcée, se plait à décrire sa société comme une démocratie raciale offrant le meilleur exemple de tolérance, de métissage et d’harmonie. Cependant, la réalité révèle des faits qui ne soutiennent pas cet idéal10 11 12. Le Brésil, qui compte en son sein la plus importante population de descendants d’Africains au monde après le Nigeria, a un palmarès assez piteux dans le domaine de la justice raciale. Dernier pays à abolir l’esclavage, en 1888, il a fallu attendre un siècle avant la nomination d’un Noir comme membre d’un cabinet ministériel sous la présidence de Sarney. Cela fut suivi d’un hiatus de dix ans avant la nomination de Pelé au poste de ministre des Sports sous le président Cardoso. Le président Lula, pendant son règne, détient la distinction d’avoir nommé le plus de membres Afro-descendants à son cabinet, cinq. Dilma Roussef ensuite en a eu quatre pendant son premier mandat et deux lors du deuxième. Les Noirs représentent moins de 10% des étudiants à l’université. Ils sont absents en politique, à la télé, dans les professions nobles bien qu’ils représentent au moins 30% de la population totale.
À l’abolition de l’esclavage, les personnes noires constituaient la majorité de la population. Le Brésil avait importé beaucoup plus d’esclaves que les États-Unis. Pour contrecarrer ce chiffre, le pays avait encouragé l’immigration d’Européens, pendant des décennies, pour une politique de blanchiment de la population. L’abolition de l’esclavage dans le pays se passait à la même époque que la publication de l’infâme livre de Gobineau, Essai sur L’Inégalité des Races Humaines. Cette théorie raciste avait fait école au Brésil et trouvé un adhérent en la personne de Raimundo Nina Rodrigues13 14, un médecin doublé d’un anthropologue, scellant ainsi une attitude culturelle basée sur l’infériorité de la race noire et la supériorité de la race blanche. Inutile de dire que le chef-d’œuvre de notre compatriote, Anténor Firmin, De L’Égalité des Races Humaines15, écrit en un temps record pour démasquer les arguments de Gobineau comme étant de la pseudoscience, n’a pas eu d’influences et est peut-être toujours inconnu de beaucoup d’intellectuels du monde entier.
Le Brésil nie l’existence du racisme en son sein et même alors qu’un libéral se présente comme pionnier pour en discuter sur la scène nationale, comme le fit le président Cardoso, un ancien enseignant à l’université, il n’y a pas eu de vrai changement. Pendant son règne de huit ans, Pelé fut le seul ministre noir. Un programme similaire à l’Affirmative Action des États-Unis n’a débuté qu’en l’année 2000 et sa mise en œuvre est vaguement appliquée. À la différence des États-Unis, il existe peu de moyens pour remédier à un acte raciste. La discrimination raciale est illégale, mais elle est si niée et son existence est difficile à prouver. Par exemple, le refus d’embauche ne peut être considéré comme un acte raciste, malgré la preuve, si l’accusé nie toute intention raciste. Le timbre du slogan de la démocratie raciale peut retentir bien à l’oreille, paraître fascinant et même convaincant ; la réalité est toute autre. Un Noir au Brésil a peu de chances d’ascension sociale.
Quant à l’Argentine, il n’existe pas de pire révisionnisme que celui qui prétend de l’inexistence d’une présence ou encore d’une influence de la race noire en Argentine. Débutons avec deux déclarations de présidents du pays, avec un siècle de différence. D’abord Sarmiento qui déclare en 1848 : « L’esclavage est un parasite que la végétation de la colonisation anglaise a laissé s’attacher à l’arbre feuillu de la liberté » ; et un peu plus tard, triomphant, il s’adressa au parlement en ces termes : « Je viens à cette heureuse Chambre des députés à Buenos Aires, où il n’y a pas de gauchos, de Noirs ou de pauvres. » Le président Carlos Menem, de récente mémoire, avait lui-même affirmé : « Il n’existe pas de Noirs en Argentine, ce problème appartient au Brésil.16»
Ces déclarations témoignent du mépris total pour les Argentins Noirs. Symboliquement de telles phrases révèlent un état d’esprit jumeau de celui du policier qui ne se souciait pas des plaintes de Georges Floyd quand il suffoquait. Le propos de Menem pourrait ajouter le point final à la question, mais ce serait compter sans la présence de l’Histoire, cette bête qui a la manie de laisser ses empreintes indélébiles partout où elle passe ou celle des historiens qui fouillent les documents et les sites sans demander la permission.
D’après l’historien de Harvard University, Henry Louis Gates, Jr, de 1587 à 1640, Buenos Aires fut l’épicentre de ce commerce, recevant les esclaves du Brésil, importés d’Angola et d’autres régions d’Afrique de l’Ouest. Les esclaves étaient expédiés au nord jusqu’au Pérou et au sud jusqu’au Chili. La traite des Noirs fut aussi fructueuse en Argentine qu’au Brésil. Ce négoce avait même la participation de prêtres Jésuites de Córdoba17 18 19. À la fin du dix-huitième siècle, entre 30 à 40 % de la population de Buenos Aires était composée de Noirs ou Métis et de 50 % à l’intérieur du pays. Pendant la guerre d’indépendance, avec à sa tête le général San Martín, l’armée recruta les Noirs. Donc au minimum l’Argentine doit sa liberté aux esclaves noirs. Elle doit aussi sa richesse à leur dur labeur.
Tandis que les nouveaux libres de l’Amérique latine appliquaient le blanchiment, blanqueamiento, comme méthode pour réduire le pourcentage des Noirs, l’Argentine a inventé une méthode meurtrière pour les éliminer. Ils furent utilisés pendant les guerres régionales, surtout avec le Paraguay et furent en première position pour subir des pertes en vies humaines. Ensuite ils furent confinés dans des quartiers insalubres et décimés par les maladies contagieuses comme le choléra et une épidémie de la fièvre jaune qui a sévi en 1871. Cela fut conçu par le président d’alors, Domingo Faustino Sarmiento (1868–1874). Avant même la fin du siècle, la proportion de la population noire fut considérée comme insignifiante. À partir de ce moment, le récit qu’elle n’avait jamais existé en Argentine s’est propagé.
Un autre canard qu’on répète souvent dans ce pays et avec une fierté assurée concerne la genèse du Tango comme une création pur jus des Blancs argentins. Le professeur Gates nous rappelle que selon l’historien d’art, Robert Harris, qui a publié un livre sur le Tango, Tango: An Art History of Love, cette danse remonte au royaume africain du Kongo. Ntangu représente le soleil, et les esclaves à Buenos Aires ont inventé cette danse basée sur la voie du soleil. Cette danse a subi une influence des Européens, certes, mais elle fut premièrement inventée par les esclaves tout comme ils ont inventé aux États-Unis les claquettes. Il y a de nos jours une danse en Angola la Kizomba, qui ressemble au Tango.
Les Noirs n’ont pas existé en Argentine, nous dit-on, mais leur héros est un homme noir, El Negro Falucho, Antonio Ruiz, qui a préféré mourir plutôt que de hisser le drapeau espagnol en défendant Buenos Aires, le 3 février 1810. La vérité sur l’histoire des esclaves est tout de même bien documentée. Il y a encore une présence, minime, de Noirs en Argentine malgré cette volonté politique cynique au dix-neuvième siècle de les décimer. L’UNESCO a composé une liste d’anciens sites de l’esclavage. Il y a Capilla de los Negros, une chapelle construite en 1861 par les esclaves à Chascomús. Plaza San Martín, une place nommée après le libérateur est aussi sur cette liste. Elle fut la principale place de la vente d’esclaves à Buenos Aires. Il existe aussi un réseau de tunnels qui furent utilisés pour le trafic souterrain des esclaves. Une autre danse qui a sa souche dans la culture africaine est la murga comparsa, très populaire pendant la saison carnavalesque. Candombe (à ne pas confondre avec Candomblé)20 est un style de musique provenant des descendants africains que l’on trouve en Argentine, mais qui est beaucoup plus populaire en Uruguay. Il y a un port, Dock Sud, qui est considéré comme l’Harlem de l’Argentine à cause de sa concentration de descendants du Cap-Vert qui ont immigré avec les Portugais au début du siècle dernier.
Le racisme aveugle essaie d’effacer tous ces souvenirs. En guise de remerciement à une population qui a contribué à sa croissance et à sa culture, le pays préfère accentuer son héritage blanc et rejeter toute trace de notre race. Ceci est du racisme pur jus, plus subtil, mais pas moins brûlant et qui désoriente dans le quotidien. Ce désaveu continu et déroutant est à l’origine d’un mouvement grandissant dans les pays d’Amérique latine, parmi les Noirs et les Métis, pour affirmer leur passé africain. Le Pérou, l’Équateur, l’Argentine, le Paraguay, l’Uruguay, la Colombie, tous ont leur prolifération de mouvements culturels afrocentriques comme un antidote au racisme ambiant de leurs sociétés.
L’une des pénibles réalités à observer, c’est le résultat du lavage de cerveau que le racisme a pu réaliser. Les victimes de cette manœuvre viennent de toutes parts et le racisme, telle une lame bien aiguisée à double tranchant, enfante bien des comportements paradoxaux. Il y a des icônes, des personnalités politiques, avec un passé assez troublant. Mahatma Gandhi, universellement reconnu pour sa philosophie de la protestation sans violence et principal artisan de l’indépendance de l’Inde, a vécu en Afrique du Sud de 1893 à 1914. Il s’est distingué pendant son passage par ses interventions nettement racistes et n’avait aucune gêne à qualifier les Noirs de Kaffirs, synonyme de sales nègres, et d’élever les Indiens au-dessus des Noirs, « des sauvages ». Ces propos infamants ne sont pas diffamatoires et nous parviennent par un livre publié par deux universitaires sud-africains, Ashwin Desai et Goolean Vahed, The South African Gandhi : Stretcher-Bearer of Empire (2015). Dans une émission sur la BBC, le 17 septembre 2015 par Soutik Biswas, ce livre fut analysé et accompagné d’une entrevue avec son petit-fils et biographe, Rajmohan Gandhi. Ce dernier eut à dire à ce sujet : « Il était mal informé et nourrissait un préjugé contre les Noirs d’Afrique du Sud. » Le reste de sa vie fut différent et puisqu’il n’existe pas d’homme parfait, on peut lui pardonner une erreur de jeunesse. D’ailleurs notre vénéré orateur, MLK, l’avait choisi comme modèle.
Tout aussi inquiétant est le discours de V.S. Naipaul. Né à Trinidad de parents Indiens venus comme engagés, il a eu une carrière littéraire extraordinaire, mais s’est acquis une réputation de provocateur, de misogyne, mais surtout de raciste parce qu’il portait, invariablement, des critiques acerbes contre les Noirs21. Il reçut le prix Nobel tout comme Derek Walcott de Sainte-Lucie et ils eurent une perpétuelle polémique. Son œuvre est interprétée par les intellectuels noirs comme un éloge à l’assimilation, l’acceptation du joug de la mentalité coloniale et le rejet de sa propre culture. Les personnages noirs dans ses romans ne sont pas des héros. J’ai essayé de lire son chef-d’œuvre, La maison de Mr. Biswa, mais le fait que les Noirs ne jouent que le rôle de servants, ignares, a provoqué ma sensibilité et j’ai laissé tomber.
Ce lavage de cerveau, ce désir de se ranger d’un côté autre que celui des Noirs n’épargne ni les grands ni les petits de la société. Le gouvernement égyptien fut courroucé d’apprendre qu’un acteur noir américain, Lou Gossett Jr, avait été choisi pour représenter Anouar el Sadate dans un film 22. Il ne s’identifiait pas aux Noirs malgré son épiderme foncé. Ce phénomène est assez commun. Le professeur Gates l’a démontré dans un feuilleton documentaire basé sur un livre du même titre, Black in Latin America. Retenons que très souvent la notion de nationalité devient prioritaire indépendamment de la pigmentation. D’autre part, une simple nuance de pigmentation fait toute une différence. Ainsi le Dominicain préfère se désigner comme Indio et considère l’Haïtien comme Noir, tandis que ce dernier établit une différence entre le Noir et le Mulâtre. En Amérique latine, fort souvent, il n’y a pas de données dans le recensement sur la race et les Noirs insistent pour son inclusion, une façon selon eux d’enrayer le problème racial. Le métissage ajoute une autre dimension, car dans une famille les nuances de pigmentation sont variables. Ceci rend la conversation parfois délicate et inconfortable parce qu’il existe une préférence, sous-entendu, pour la complexion pâle. C’est un terrain glissant, un parterre de coquilles d’œufs. Cette sensibilité sur la pigmentation est assez universelle. En Afrique du Sud, au Zimbabwe, une personne classifiée comme gens de couleur assez souvent se sentira offensée si on la considère comme noire.
De temps à autre, nous assistons au racisme de la part d’un Noir. Idi Amin Dada a expulsé de son pays, l’Ouganda, tous les descendants Indiens. Le massacre des Tutsis aux mains des Hutus au su et vu du monde entier, en dépit du fait que l’ONU était sur place pour empêcher un tel génocide, est une honte. Aussi étrange que cela puisse paraître, l’inverse s’était produit vingt-ans plus tôt, à une plus petite échelle, au Burundi voisin23. Il y a le Noirisme, ce phénomène pervers qui apporte des résultats dérisoires, désastreux. L’épiderme et la compétence opèrent sur des ondes séparées et indépendantes qui s’entrecroisent parfois, mais n’ont jamais une relation linéaire. Le problème trop souvent réside dans l’assomption qu’a priori ces deux facteurs se confondent.
De notre vivant nous avons vu des cas embarrassants quand un individu se comporte comme étant gêné de sa physionomie. Feu Michael Jackson a blanchi sa peau, modifié son nez de manière ostentatoire. L’athlète Sammy Sosa de souche haïtienne, ce qu’il n’a jamais publiquement reconnu, a aussi complètement blanchi sa peau24.
Le racisme perdure en se reposant sur l’apparence de supériorité d’une race. La construction théorique du privilège d’être blanc repose sur la réussite économique, les accomplissements documentés des membres de cette race. Le corollaire, c’est le doute en ce qui concerne la capacité des non-Blancs. L’idée de l’égalité de la compétence est fort souvent un obstacle. Malheureusement…
Cela influence le récit et ce préjugé intellectuel a effectué tant de dommages et continue à le faire. Il reste beaucoup de mythes à percer. Ici aux États-Unis cela a pris toute une éternité pour célébrer le travail phénoménal de mathématiciennes noires, pionnières pour le projet de l’exploration spatiale. Melba Roy, Christine Darden, Katherine Johnson tard dans la vie reçurent l’accolade et les honneurs dans le film, Hidden Figures25.
Cette histoire s’est répétée plusieurs fois. Obtenir le crédit pour un travail bien ficelé a toujours représenté une montagne à gravir. Un autre exemple tout aussi fascinant est le cas de Lewis Latimer. Un autodidacte, qui n’a pas eu la chance d’aller à l’Université, il fut le moteur derrière Bell pour son invention du téléphone ainsi que Edison pour l’ampoule électrique et la génération de l’électricité. Naturellement, son nom ne figure pas dans les livres d’histoire en grande manchette. Ce même Edison avait essayé de recruter Washington Carver qui avait travaillé sur la cacahuète et avait réalisé une grande vague d’inventions. Ces grands inventeurs noirs n’ont jamais eu la même chance de faire une percée comme leurs compatriotes blancs. L’histoire de scientifiques de la race noire n’est pas assez diffusée. L’obtention de telles informations relève d’un travail de sacerdoce et il incombe aux parents noirs de suppléer leurs enfants avec ces données que l’école ne leur fournit pas de sorte qu’ils sachent que contrairement à ce qui se dit, nous sommes aussi capables que les autres d’exceller dans tous les domaines26 27 28.
L’introduction des Noirs dans le Nouveau Monde, comme des bêtes de somme à partir de l’esclavage, a terni la relation entre les Noirs et les Blancs. Le rapport de forces étant si inégal qu’à jamais on ne cessera de juger les membres de notre groupe comme une classe inférieure n’ayant pas eu de passé glorieux. Ceci est curieux alors que l’exploration du Nouveau Monde s’est faite peu de temps après la défaite des Maures qui avaient occupé l’Espagne pendant sept siècles et avaient contribué énormément à la croissance de l’Europe en introduisant la médecine, la chimie, les mathématiques, l’astronomie, la physique29 30. Cette histoire n’est pas relatée dans les livres d’histoire parce que les Maures furent du nord de l’Afrique et de pigmentation foncée. Córdova, la capitale pendant l’occupation, fut la ville la plus moderne de l’Europe. L’alphabétisation fut universelle et ils avaient fondé 17 universités et changèrent les chiffres numéraux du système romain en arabe et ont apporté beaucoup d’autres innovations.
Pendant l’introduction de l’esclavage dans le Nouveau Monde, le grand empire Songhaï avec Tombouctou comme capitale était en pleine floraison, le centre du commerce de sel. L’empire du Mali a eu la distinction d’avoir eu l’homme considéré le plus riche de l’histoire, le roi Mansa Musa qui avait régné de 1280 à 133731 32. L’histoire de notre race est parsemée d’illustres participants dans toutes les disciplines, un fait ignoré par les intellectuels qui permettent la propagation du récit de notre infériorité mentale. La construction des pyramides, un accomplissement qui ne cesse d’intriguer notre monde a eu une participation très importante d’individus basanés. Pendant les expositions dans les musées des sarcophages ou momies des pharaons on observe, mais passe sous silence, leurs traits négroïdes. On ignore passablement les prouesses d’Hannibal et on questionne l’existence d’Ésope ou son origine africaine.
Le racisme partage la caractéristique de permanence avec la pollution. On peut le gérer, mais on ne pourra jamais l’éliminer aussi longtemps qu’il y aura une différence de physionomie, de croyance religieuse, de nationalité, entre les êtres humains. La promotion de la culture noire n’est pas non plus synonyme d’un manifeste anti-blanc. Nous avons toujours versé notre quote-part au bien-être de l’Humanité et nous continuerons à le faire. Nous insistons cependant pour en recevoir le crédit. Nous sommes las de la discrimination qui nous précède, nous entrave, nous poursuit et nous survivra. Ce serait une erreur incalculable d’assumer que le racisme ne réside que chez les Blancs ou qu’ils sont tous racistes. Le mieux que l’on puisse faire dans les circonstances, c’est de changer les comportements par des moyens politiques en votant en masse pour défendre nos intérêts, de lutter pour changer le récit de l’histoire de l’Humanité en tenant compte de la participation de tous les acteurs et de réorienter la vision eurocentrique qui sous-entend que les accomplissements n’ont débuté qu’en Europe.