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Contribution de Dessalines à la genèse et à l’implantation des droits de la personne humaine à travers le monde

—par Luc Rémy

Mesdemoiselles, Mesdames et Messieurs,

17 octobre 1806–17 octobre 2013, cela fait exactement 207 ans depuis que l’humanité a perdu l’un des plus grands hommes que l’univers ait produits. Ce mercredi 17 octobre 1806, vers 9h du matin, à l’entrée nord de la ville de Port-au-Prince, précisément au Pont Larnage, aujourd’hui Pont Rouge, s’affaissa, criblé de balles et haché de coups de poignard, ce jeune homme pas comme les autres.

Il ne lui manquait que trois ans pour franchir un demi-siècle, mais absolument rien quant à sa puissance physique, mentale et morale, ses convictions révolutionnaires, sa bravoure, ses talents militaires, son authenticité, sa force de libération collective et sa conscience élevée de la liberté et des rapports de classe, de race, de couleur et d’intérêt en Haïti et à travers le monde. Il ne venait pas de succomber au combat, car, sur le champ de bataille, il avait toujours su se défaire même de ses ennemis les plus capables. En réalité, ce 17-là, il venait tout simplement de tomber dans une embuscade, montée par ceux-là qui n’avaient jamais entendu l’accepter comme chef d’État et qui restaient morbidement attachés à certains privilèges du statu quo ante.

Les bourreaux du défunt, tout pressés qu’ils étaient d’aller se partager les lambeaux de la République ainsi déchirée, ne s’étaient pas rendu compte qu’ils venaient de sanctifier l’homme et de consacrer son apothéose. Ils ne savaient pas, il ne comprenaient pas que leur victime appartenait à la race des divinités tutélaires de l’Afrique et de l’Amérique. Ils ne pouvaient savoir ni ne pouvaient comprendre que, par leur action criminelle, ils venaient tout simplement de lui faire une faveur, et de lui ouvrir l’ascenseur, pour le laisser accéder, en pleine jeunesse, au plus haut degré du panthéon universel.

Cet homme extraordinaire, cette illustre victime, c’était, et c’est encore—vous l’avez déjà compris, Mesdemoiselles, Mesdames et Messieurs—Jean Jacques Dessalines.

Dessalines a joué un rôle capital dans la révolution haïtienne de 1791–1804. Et il a aussi apporté une contribution immense aux conquêtes humanistes de l’univers : il fut, en particulier, l’un des principaux architectes des droits de la personne humaine tels que nous les connaissons, en jouissons ou cherchons à en jouir aujourd’hui à travers le monde. En effet, avant lui, l’humanité se tenait sur une échelle à deux échelons : en haut, les blancs proclamés supérieurs, en bas tous les autres peuples. Dessalines vint, brisa l’échelle, fit mettre pied sur terre à tout le monde. Tout le monde se tourna alors vers Haïti. Et alors tout le monde commençait à se sentir et se trouver sur un pied d’égalité. Environ 140 ans plus tard, en 1945, sans faire référence à lui, sans lui rendre le moindre hommage, les peuples de la Terre, je veux dire les Nations Unies, adoptèrent et consacrèrent les conquêtes humanistes de Dessalines et de la Révolution haïtienne.

Rappeler l’avant, le pendant et l’après-Dessalines en matière de droits de la personne humaine, signaler quelques-unes de ses contributions dans l’avènement de ces droits, plaider pour sa pleine réhabilitation face à Haïti, patrimoine universel aujourd’hui en grand péril, tel est le décor que j’entends brièvement planter ici sous vos sens.

Commençons avec un bref coup d’œil rétrospectif sur au moins 300 ans de révolutions en Occident. Partons de notre victoire à Vertières en novembre 1803. Arrêtons-nous aux grands voyages d’exploration et à la conquête de l’Amérique vers la fin du xvè siècle. Cette tranche d’histoire a représenté la condensation, le raffinement et la quintessence de près de 6000 ans de domination judéo-chrétienne, gréco-latine et blanche. Mais chose étonnante, elle a aussi repris, prôné et renforcé les thèses de l’infériorité et de la barbarie des peuples non caucasiens et non européens. Pire, cette période a marqué le plongeon de l’Occident lui-même dans la barbarie d’un esclavagisme sans précédent.

Le Génie de Dessalines c’est d’avoir su affronter ces vieilles et puissantes institutions plurimillénaires et ouvert la voie à l’égalité effective de tous les hommes.

1. La problématique des droits de la personne humaine face à Dessalines et son implantation

A. L’état de la question des droits de la personne humaine jusqu’à Dessalines

Entre la fin du xvè siècle et la fin du xviiiè (1490–1799), de puissantes vagues révolutionnaires avaient remué et emporté, dans tous les domaines, et surtout en Europe, bien de structures établies. Une large palette d’acteurs et de théoriciens étaient au cœur de ce long et profond processus de changement. Pour les besoins de notre illustration signalons seulement, parmi ces grands acteurs et révolutionnaires, quelques noms comme ceux de Christophe Colomb, Ferdinand Magellan, Amerigo Vespucci, Martin Luther avec ses 95 Thèses (1517), Nicolas Machiavel avec Le Prince (1532), Thomas Hobbes avec Le Léviathan (1651), John Locke avec ses Deux Traités sur le Gouvernement ou Traité du Gouvernement Civil (1689), Montesquieu avec De L’Esprit des Lois (1748), Rousseau avec son Discours Sur l’Origine et les Fondements de l’Inégalité parmi les Hommes (1755), etc.

Au milieu de mille et une contradictions et guerres violentes et sanglantes, des écrits de théoriciens et des interventions d’acteurs avaient contribué à séparer progressivement le divin du terrestre, le religieux du temporel, les droits des souverains de ceux des sujets, les droits des ecclésiastiques et pasteurs de ceux des fidèles. De nouvelles connaissances, techniques, scientifiques, cartographiques et géographiques avaient pris place ; de nouveaux territoires avaient été découverts par les Européens ; des peuples jusque-là inconnus les uns des autres étaient entrés en contact brutal ; d’intenses activités commerciales s’étaient établies entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique faisant de l’Océan Atlantique la plaque tournante du commerce mondial.

L’État national s’était peu à peu constitué absorbant fiefs et seigneurs tout en se dotant d’un ensemble d’attributs de souveraineté. Les puissances européennes s’étaient agrandies en empires en s’appropriant des territoires ou colonies en Afrique, en Asie mais surtout en Amérique. L’église catholique dut partager son empire chrétien avec des églises protestantes et cela avait conduit au pluralisme de la foi chrétienne. Les rois aussi avaient contesté la toute-puissance du pape comme suprême représentant de Dieu sur terre et s’étaient eux-mêmes proclamés monarques de droit divin. Mais ils furent bien vite contestés eux aussi dans leur absolutisme par les défenseurs des théories des droits naturels appelés plus tard Droits de l’Homme. Devenus tout simplement les premiers d’entre leurs égaux, les rois ne concentraient plus tous les pouvoirs entre leurs mains mais les partageaient avec les tribunaux et représentants ou députés de la nation. Les abus tels que les incarcérations fantaisistes et arbitraires, l’embastillement et les répressions diverses contre les opposants politiques et les taxes excessives avaient diminué ; l’application de la loi martiale en temps de paix était rendue illégale ; l’intolérance religieuse et la censure avaient reculé ; la propriété était devenue sacrée. Bien d’autres principes étaient aussi établis tels que : la liberté d’expression et de communication, le secret de la correspondance, l’accord du parlement pour les taxations aux dépens des administrés, la séparation des pouvoirs, la liberté de débat et de procédure au parlement, etc.

Ces acquis constituent ce que l’on a appelé les droits de l’homme et du citoyen et se trouvent consignés pour les Occidentaux dans des documents comme : la Pétition des droits (mai 1628), l’habeas Corpus de 1679 et le Bill of Rights ou Déclaration des droits anglais de 1689 ; la Déclaration d’Indépendance de 1776, la Constitution de 1787 et le Bill of Rights de 1791 des États-Unis d’Amérique ; la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen adopté par l’Assemblée Constituante française le 26 août 1789 et la Constitution française du 3 septembre 1791. Ce n’était plus donc l’ère de l’individu astreint surtout à des devoirs comme au temps féodal, mais c’était l’avènement de l’homme de droit et de devoir ou de l’homme citoyen.

B. Champ d’application des droits de l’homme à l’origine—Normes et valeurs

Ces conquêtes, quoique révolutionnaires, qu’elles fussent introduites par des laïcs ou des religieux, des athées ou des croyants, n’inclurent pratiquement pas, dans le moule ou la machine à hommes qu’ils venaient de fabriquer, tous les êtres humains de la Terre. Elles ne visaient que les blancs, avec une préférence pour ceux-là qui pouvaient payer le cens dans les élections ou leur procès au tribunal, posséder quelques biens, faire du commerce et s’acheter ou se donner du pouvoir.

Ainsi, les droits de l’homme, au sortir des révolutions américaine et française, jusqu’au temps de Dessalines, c’étaient les droits de l’homme blanc possédant, à l’exclusion des Océaniens, des Africains, des Asiatiques et des Amérindiens. Tous ces derniers peuples, selon le canon européen de l’époque, n’étaient pas véritablement des hommes. À preuve, il a fallu par exemple moins de 50 ans pour que les Indiens d’Amérique fussent exterminés. Et il a fallu cette extermination pour voir le pape Paul III, dans sa bulle Sublimis Deus du 29 mai 1537, déclarer qu’ils étaient « véritablement des hommes », et l’Empereur Charles Quint, déclarer en 1542, que leur esclavage était aboli.

Ce génocide, on le comprend bien, intervint dans le cadre de l’exercice de ce que les Européens considéraient comme leur supériorité. En revendiquant cette supériorité, ils se donnaient la mission morale et chrétienne non seulement d’asservir les autres peuples qu’ils qualifiaient « inférieurs » mais aussi de les convertir au christianisme tout en faisant main basse sur les terres et autres richesses de ceux-ci.

Dans ces conditions, et selon cette même logique, l’autre cible privilégiée c’étaient alors les Noirs d’Afrique. Ils étaient déclarés objets, bien meubles, machines parlantes, propriétés de leurs maîtres et pouvaient être vendus, achetés, volés, confisqués ou réclamés. Tous les hommes étant libres et égaux, ils avaient tous donc alors le droit de posséder, d’acheter, de vendre et de maltraiter leurs objets esclaves noirs car la propriété est inviolable et sacrée. Comme les muscles de ces machines parlantes noires ne coûtaient pas aussi cher que les machines métalliques, ils devaient constituer la force motrice de la production dans les colonies. D’ailleurs, les Noirs n’étaient-ils pas capables de toutes les activités et d’une production abondante et continue, à toutes les heures du jour et parfois même de la nuit ?

Assurer la puissance et l’hégémonie de la métropole à l’échelle internationale, telle était la grande mission que les autorités de l’État mercantiliste ou de l’État libéral s’assignaient aux dépens de leurs colonies à esclaves.

C. Le milieu naturel de Dessalines

Saint Domingue, c’est-à-dire Haïti, où vivait Dessalines, représentait l’essence du système colonial et esclavagiste mondial à la fois sous le rapport du niveau élevé de la barbarie des maîtres et des autorités métropolitaines et aussi de la production économique. Voici quelques-unes des techniques qui faisaient de Saint-Domingue La Perle des Antilles et le fleuron de l’empire colonial français aux dépens des esclaves : amputations de dents, d’oreilles, de bras, de jambes, marquage au fer chaud (fleur de lys), gifles, crachat au visage, injures, inhumation tout vivants et debout avec la tête enduite de sirop et exposée en plein air aux fournis et autres insectes pour à la fois terroriser les autres esclaves et permettre aux torturés eux-mêmes de voir et sentir leur fin cruelle, pendaison, noyade, fusillade, viol, pénitences longues, enterrement obligatoire des esclaves non baptisés, non en terre sainte (c’est-à-dire au cimetière réservé aux baptisés) mais dans un champ quelconque ou au bord de la route, interdiction aux esclaves de tenir réunion, d’aller vendre des biens au marché sans l’autorisation de leurs maîtres, d’assigner en justice ou d’être témoins dans une affaire civile ou criminelle, d’avoir la propriété de biens, d’apprendre à lire et à écrire, de transmettre ou de recevoir des succession (ou héritages), de construire leurs cases près de la maison des maîtres blancs ou dans un emplacement d’où le vent aurait pu charrier l’air de leurs cabanes vers les maisons des maîtres…

Quant au fouet (verges, cordes et autres), ont observé les historiens, il était la cloche, le haut-parleur de l’habitation. À tout instant, on entendait ses volées carillonner pour activer les esclaves au travail, leur imposer un arrêt, leur demander une explication, suspendre une conversation, rompre un silence, décider de la reprise ou de la fin du travail, les réveiller le matin, etc.

D. La Silhouette de Dessalines

C’est au sein de ce système mondial et local que Dessalines est né en 1758, a grandi et évolué, au milieu de privations, du racisme féroce et de toutes les pratiques zombifiantes ou aliénantes de Saint-Domingue. Sur son corps, il portait de réelles cicatrices des coups reçus de ses maîtres ou de ses commandeurs ; dans son cœur, tourmenté, il portait les souvenirs pénibles et torturants des humiliations subies dans ses contacts avec les libres ; dans ses regards éclatait souvent sa colère révoltée face aux souffrances, à la déshumanisation et aux sévices imposés à d’autres humains autour de lui. Il n’a pas été à l’école formelle ; il n’a donc pas reçu l’éducation régulière ou même privée d’un Jules César, d’un Napoléon, d’un Winston Churchill, d’un Francisco de Miranda, d’un Simón Bolívar, d’un Bismarck, d’un Gandhi, d’un Kwame Nkrumah, d’un Fidel Castro, d’un Martin Luther King, d’un Nelson Mandela, d’un Alexandre Pétion, ni même d’un Olivier Cromwell, d’un Abraham Lincoln ou d’un Garibaldi. À la vérité, en matière d’écriture et de lecture, Dessalines ne possédait que très peu de rudiments. Faute de pouvoir lire, il se faisait lire les écrits. À la différence de la plupart de ces leaders susmentionnés, il n’a pas visité des pays étrangers ; il n’a pas pu par exemple se frotter à des intellectuels libéraux ; il n’a pas pu comme la plupart de ces autres révolutionnaires participer à des guerres révolutionnaires à l’extérieur ; il n’a pas pu avoir sous les yeux des scènes et des décors différents de ceux de Saint-Domingue. Son univers, c’était l’enfer colonial et esclavagiste.

Pourtant Dessalines trouva en lui-même des ressources morales et intellectuelles pour se révolter, s’attaquer à ce système, le combattre en alliance avec d’autres, faire des retournements d’alliance, revenir dans les bras de ses ennemis, résister à leurs pièges mortels, combattre à leurs côtés, finalement se retourner contre eux pour les tailler en pièces et conduire son peuple à l’autonomie de responsabilité et à l’indépendance. C’est que Dessalines s’était construit une personnalité d’homme d’élite et était un excellent apprenant au contact de diverses cultures : l’africaine qu’il portait dans son sang et dans sa naissance ; la française, l’anglaise, l’espagnole et l’américaine qu’il a tour à tour embrassées, combattues ou tenues sous contrôle ; l’indienne qu’il a chérie et cherché à réhabiliter ; et l’haïtienne qu’il a affirmée, consolidée et pour laquelle il a décidé de se battre jusqu’au sacrifice suprême. C’est dire qu’il n’était pas sans référence culturelle, ni sans éducation. Il n’était pas non plus dépourvu d’un idéal grandiose. Fin danseur, il avait su probablement tirer de la danse non seulement le plaisir des sens mais aussi l’art d’entraîner ses partenaires ou interlocuteurs, malgré eux, dans des pirouettes politiques et militaires vertigineuses dont il sortait presque toujours le gagnant. Observateur très attentif, très curieux et très sensible aux vibrations externes et internes, toujours à l’écoute des nouvelles du monde et de son milieu, il était doté d’une intuition extraordinaire ; et cela lui donnait l’avantage de pouvoir tirer leçon du moindre détail qui lui passait par les sens. De ses contacts avec les hommes, les femmes, les bêtes et les choses de Saint Domingue ou à Saint-Domingue, et aussi avec les forces espagnoles, françaises, anglaises qu’il combattait ou auxquelles il était allié, il avait appris à se former énormément. Et il se révéla un fin connaisseur de la mentalité et du colonisateur et du colonisé, et du noir pur et de l’homme à peau clair, et de l’homme libre et de l’homme esclave, et du blanc et du noir, et de l’esclave créole et de l’esclave bossale. De ses souffrances, des violences subies, il avait emporté cette passion de la liberté, de l’indépendance pour lui et les siens, et pour tous les hommes de l’univers. Et voilà pourquoi il était si profond et si authentique dans sa carrière de libérateur de peuple. S’étant dressé contre ce système mondial d’oppression dont Saint Domingue était le cœur, Dessalines lui infligea des fissures irréparables. Il finit par créer une espèce humaine nouvelle. Du coup, il changea le monde de son temps ; du coup, il prépara le monde à changer profondément après lui. Ainsi Dessalines est-il et demeure le père authentique de la Révolution des Droits de la personne humaine dont l’humanité se veut si fière aujourd’hui. À l’évidence, Jean Jacques Dessalines demeure une figure historique hors pair dans l’histoire universelle.

Élevé dans la servitude jusqu’à 33 ans, privé du pain de l’instruction formelle, père d’une douzaine d’enfants, meurtri dans sa chair et dans son moral par la violence aveugle du système colonial esclavagiste, raciste et oppressif de la France, Dessalines semblait réunir toutes les conditions pour passer et finir ses jours en abruti, impotent, résigné et anonyme. S’il devait mourir à la fin du printemps de l’année 1802, il aurait été connu dans l’histoire très probablement comme un vulgaire personnage, au mieux comme un simple brave guerrier d’abord au service de la bonne cause aux côtés de Toussaint Louverture mais qui a finalement passé au service de l’ennemi, le général Leclerc, le 6 juin 1802, un jour avant l’arrestation de Louverture par le général Brunet. Eût-il été par exemple absent du système louverturien lors de l’Affaire Villate (1796), de la guerre contre les Anglais (1794–1798), de la Guerre Civile ou Guerre du Sud (1799–1800), dans l’organisation du régime agraire que, en toute vraisemblance, Toussaint lui-même serait resté un combattant ordinaire et Haïti une colonie à esclaves de la France jusqu’aujourd’hui encore. Lui eût-il manqué la vision, la détermination, la flexibilité, l’énergie et le leadership à toutes épreuves dont il faisait montre pour conduire Haïti à l’indépendance que, très probablement, l’Amérique Latine aurait été privée d’un point de chute sûr pour ses révolutionnaires, d’aides diverses et d’inspirations révolutionnaires claires et efficaces et aurait raté sa libération, que Napoléon aurait imposé un puissant empire français en Amérique, que les États-Unis d’Amérique n’auraient donc pas eu un avenir trop brillant, que la traite et l’esclavage seraient aujourd’hui encore bien normaux et bien vivants à travers le monde, y compris aux États-Unis d’Amérique même.

Par un heureux accident historique ou peut-être par une sorte de prédestination, Dessalines, cet homme encore mal connu jusque vers 1799, a pu trouver moins de six (6) années de sa vie pour se propulser au premier plan de la scène historique mondiale. Il en a profité non seulement pour faire éclater et briller toute sa gloire personnelle, mais surtout pour accomplir une œuvre colossale au service d’Haïti et de l’humanité entière.

Je me contente ici de signaler, à la fois sur le plan théorique et pratique, seulement six (6) des nombreuses facettes fondatrices remarquables de Dessalines relatives aux droits de la personne humaine. Certes, il n’est pas recommandé à l’historien ou au chercheur, travaillant sur Haïti ou n’importe quel autre pays, d’accorder une foi aveugle et de manière exclusive aux textes de loi et aux constitutions pour identifier l’orientation effective des leaders et gouvernements ; car il arrive souvent que les actes de ceux-ci sont en nette contradiction avec l’esprit et la lettre de leurs lois et constitutions. Mais dans le cas de Dessalines, cette option méthodologique est bien fondée et se révèle fructueuse car nous l’assortissons de l’étude des faits. De plus, Dessalines liait la parole à l’action ; et d’entrée de jeu il s’était mis à appliquer les lois que son gouvernement avait adoptées. Et l’étude de son action gouvernementale, toutes choses considérées, montre bien que Dessalines était un leader révolutionnaire capable et éminemment responsable qui savait faire et qui savait faire faire individuellement et collectivement.

II. Quelques-unes des contributions majeures de Dessalines à l’émergence et à l’implantation des droits de la personne

Venons-en maintenant aux 6 des facettes libératrices et humanistes que nous avons retenues dans le cadre de la présente étude sur Dessalines.

1ère facette : Dessalines, l’anti-esclavagiste et l’anticolonialiste intraitable

Jean Jacques Dessalines fut le premier révolutionnaire, le premier chef d’État de la Terre à offrir en modèle à l’Humanité à la fois l’abolition de l’esclavage et le renoncement au colonialisme. Il fit consacrer cette rupture d’abord dans l’Acte de l’Indépendance du 1er janvier 1804, ensuite dans la Constitution du 20 mai 1805 dont l’article 2 stipule, dans une formulation plutôt universaliste, ce qui suit : « L’esclavage est à jamais aboli. » Et il entendait toujours faire assumer et défendre la liberté et l’indépendance souveraine par tous les Haïtiens. À preuve, il choisit pour lui-même et pour la Nation la devise éloquente suivante: Liberté ou la Mort. Cette devise, inscrite sur le drapeau noir et rouge créé au congrès de l’Arcahaie du 18 mai 1803 et qui flottait à la bataille de Vertières le 18 novembre 1803, devint devise nationale en son temps. On la retrouve dans la plupart des actes administratifs de son gouvernement.

2è facette : Dessalines, le pourfendeur du racisme institutionnel et hégémonique, et champion de l’égalité des races humaines

Dessalines s’opposait à tout ce qui visait à établir une hiérarchie entre les hommes sur la base de la couleur de la peau et des idéologies qui proclamaient l’inégalité entre les races. Voilà pourquoi sa Constitution fut proclamée, et je cite, « en présence de l’Être-Suprême, devant qui les mortels sont égaux » et aussi, « en face de la nature entière dont nous avons été si injustement et depuis si longtemps considérés comme les enfants réprouvés ». Pareillement, il y fit introduire la clause antiraciste suivante : « les Haïtiens ne seront désormais connus que sous la dénomination générique de Noirs. » (art. 14) Et pourtant, Dessalines savait pertinemment qu’il y avait aussi alors des Haïtiennes et des Haïtiens d’origine blanche, plus justement allemande, polonaise, espagnole et même française…

3è facette : Dessalines, le forgeur de la coopération internationale pacifique, horizontale et anti-hégémonique

Dessalines approchait les relations internationales dans une perspective fraternelle et égalitariste. Pour lui tous les hommes persécutés, exploités et privés de leur liberté, de leur patrie et de leur indépendance doivent être solidaires, si naturellement ils ont la conscience d’homme. Voilà pourquoi aussi il les considérait tous comme des noirs faisant ainsi du concept « noir » non vraiment une couleur mais plutôt une idéologie de résistance à l’oppression organisée par des blancs esclavagistes, colonialistes et racistes. Par ailleurs, tout en prônant une politique internationale d’apaisement et de coexistence pacifique avec le reste du monde, il ne refusait jamais, quand c’était possible, son aide aux opprimés de la Terre, nommément des indiens, des polonais, des allemands, des juifs, des espagnols et esclaves des colonies et d’autres provenances. Pareillement, Dessalines repoussait toujours toutes propositions qui visaient à faire d’Haïti un protectorat ou l’empêchaient de traiter en toute égalité souveraine avec d’autres États.

4è facette : Dessalines, le Fondateur du Panaméricanisme humaniste

Jean Jacques Dessalines s’est comporté en panaméricaniste humaniste et convaincu. Il est le tout premier chef d’État du continent américain et du monde à concevoir et traiter l’Amérique comme un espace continental différent de l’Europe et qui devait être entièrement libéré de la domination de celle-ci et vivre dans la paix, la liberté et l’autodétermination de chaque pays et de chaque peuple. Dessalines fut, en fait, le fondateur du courant de pensée qui prône « l’Amérique aux Américains » ; il concevait l’Amérique totalement libérée et débarrassée de la domination ou de la tutelle externe ; il la concevait aussi non dans une perspective de domination d’un peuple américain sur son ou ses voisins américains mais dans la solidarité, le respect mutuel et fraternel, d’où ses attaques verbales anti-françaises et anti-européennes que l’on retrouve dans certaines de ses formules telles que : « implacables ennemis des droits de l’homme”, “la politique infernale des Européens », « tyran de l’innocence », « oppresseur du genre humain », « tigres altérés de sang ». D’ailleurs, toute la pensée politique de Dessalines semble profondément blessée et traumatisée par le génocide infligé aux Indiens. C’est pourquoi, d’ailleurs, il considère ses victoires sur les Espagnols, les Anglais et surtout sur la France comme des victoires contre toute l’Europe esclavagiste et colonialiste coupable de ce génocide ; voilà pourquoi il a dédié de telles victoires à la mémoire des Indiens en proclamant: « J’ai vengé l’Amérique. »

C’est dans ce même esprit que, au début de 1806, il a fraternellement reçu Francisco de Miranda et toute l’équipe qui accompagnait celui-ci. Eut-il manqué confiance dans son propre leadership, eut-il été raciste et blancophobe, eut-il été sous l’emprise du complexe d’infériorité, il n’eût pas reçu ce blanc, d’ailleurs un aristocrate et qui parlait au nom de colons blancs de l’Amérique du sud. Mais, homme de justice au jugement tranchant, Dessalines savait que Miranda n’avait fait aucun mal au peuple haïtien ; visionnaire, il savait que la consolidation de l’indépendance d’Haïti résidait dans la solidarité continentale des peuples voisins. Voilà pourquoi il a sincèrement et de manière directe enseigné à Miranda la logique, les méthodes et les règles garantissant le triomphe de la révolution. L’enseignement de Dessalines à Miranda ne sera-t-il pas d’ailleurs étudié et appliqué par Simon Bolívar et ses camarades révolutionnaires jusqu’ à complète libération de l’Amérique Latine ?

5è facette : Dessalines, le promoteur du droit de la personne humaine à une nationalité et à une patrie

Malgré ses précautions pour ne pas s’attirer la foudre conjuguée de toutes les puissances colonialistes et esclavagistes de son temps, Dessalines n’a jamais laissé la peur le dominer ni le contraindre à l’indécision et l’inaction. Il s’est plutôt toujours ouvertement comporté en leader responsable, solidaire et internationaliste engagé dans ce que nous appellerions aujourd’hui l’humanitaire. Il s’employait toujours activement à faire d’Haïti le soutien généreux, la patrie et la terre d’accueil et de refuge de tous les persécutés et opprimés de la terre qui frappaient à nos portes ou au secours de qui nous pouvions nous porter. À preuve, il s’est maintes fois prononcé sur le sort de ceux qui étaient sous le joug servile. Il les encourageait même parfois à se révolter : dans sa fameuse proclamation du 28 avril 1804, il s’est apitoyé par exemple sur « le sort déplorable de nos frères déportés en Europe ». En l’absence d’un droit humanitaire comme aujourd’hui, Dessalines se faisait le défenseur et protecteur des abandonnés et des opprimés. Par exemple, il a pris le 14 janvier 1804 un décret incitatif pour encourager les capitaines de navires à lui ramener en Haïti des Noirs et mulâtres haïtiens en difficulté aux États-Unis d’Amérique et incapables de payer leur retour chez eux. Pour chaque individu ramené, Dessalines paya quarante (40) piastres au capitaine. Il manifestait cette même attention pour des Haïtiens noirs et de couleur faits prisonniers par les Anglais à la Jamaïque. Par exemple lorsque le gouverneur anglais de la Jamaïque voulait renouveler les accords commerciaux de l’Angleterre conclus avec Toussaint Louverture, quel geste fit-il pour amadouer Dessalines ? Il lui envoya, nous dit Thomas Madiou, « trente-quatre prisonniers noirs et de couleur, indigènes d’Haïti, qui avaient été pris avant la proclamation de l’Indépendance, alors que le pays était encore français ». Pourquoi un tel geste du gouverneur Nugent ? Parce que, très probablement, les Anglais connaissaient la haute importance accordée par Dessalines à la défense et à la protection des Haïtiens. Dans sa lettre du 19 janvier 1804 au gouverneur, via l’émissaire Corbet, Dessalines répondit justement en des termes qui montrent bien sa grande sollicitude vis-à-vis des déshérités du sort. « Cette marque de bienveillance, écrivit-il, m’a flatté bien agréablement, et ce serait mettre le comble à votre générosité que de me faire parvenir le reste des malheureux que vous m’avez promis » (Madiou 1985: 138)1. Madiou nous relate encore la conduite patriotique, humanitaire et fraternelle de Dessalines vis-à-vis d’un petit groupe de Polonais qui faisaient partie de l’expédition de Leclerc. Les Polonais de l’expédition, rappelons-le, avaient refusé de se battre contre les Haïtiens ; ils avaient fait défection et Dessalines leur avait reconnu la nationalité haïtienne. 160 d’entre avaient décidé de quitter Haïti pour aller vivre à la Jamaïque; Dessalines leur en donna facilement l’autorisation et fit des arrangements avec le capitaine anglais Perkins qui les transporta à leur destination. « Le gouverneur Nugent, moins généreux que Dessalines », dit Madiou, leur exigea le service militaire dans les troupes anglaises comme contrepartie de leur résidence à la Jamaïque. Vu leur refus, le gouverneur les renvoya en Haïti tout en demandant à Dessalines de les chasser ensuite du territoire haïtien. « Mais Dessalines lui répondit que ces Polonais étaient devenus Haïtiens, qu’il était le chef d’un peuple libre, et qu’il ne pouvait par conséquent, contraindre ses nationaux à quitter la terre de la patrie. » (Madiou 1985 : 138)2. Dessalines avait donc reconnu à ces hommes, des Haïtiens naturalisés, le droit de quitter leur pays et aussi celui d’y retourner et d’y vivre sous la protection de leur gouvernement.

6è facette : Dessalines : le créateur d’humanité

La mission la plus audacieuse, la plus belle et la plus élevée que Dessalines se soit donnée et ait accomplie au service d’Haïti et de l’univers est celle de créateur d’humanité. Il a réalisé une telle prouesse inégalable en tant que leader de la révolution haïtienne et en tant que fondateur de l’État haïtien. Comme je l’ai écrit dans mon ouvrage Réflexions Stratégiques Sur Haïti, « C’est à la Révolution haïtienne que, au laboratoire de l’action guerrière, dans l’affrontement armé direct des esprits et des corps des maîtres dits “supérieurs” et des esclaves dits “inférieurs” de l’autre, reviennent l’impayable mérite et la gloire d’avoir détruit plusieurs millénaires de mythes dominant concernant non seulement l’esclavage et l’infériorité de l’esclave en général mais encore l’infériorité du Noir. Avec la guerre de l’indépendance d’Haïti, pour la première fois dans l’histoire connue de l’humanité, des esclaves avaient définitivement triomphé à la fois de leur métropole et de leurs maîtres blancs ; pour la première fois, la métropole et les maîtres vaincus et chassés, les esclaves vainqueurs se sont organisés en État indépendant et souverain. Et aujourd’hui encore Haïti demeure le seul cas historique d’un État créé par des esclaves au terme d’une révolution et gouverné par ces anciens esclaves eux-mêmes. Pour la première fois dans les Temps Modernes, des caucasiens ont été défaits par des noirs dans une guerre internationale ». (Rémy 2013 : 126)3

On comprend donc pourquoi la réhabilitation de Dessalines demeure une mission prioritaire non seulement pour tous les Haïtiens mais aussi pour tous les hommes de progrès de l’univers.

III. Pour la réhabilitation pleine et entière de Dessalines

Réhabiliter Jean-Jacques Dessalines s’impose en effet à nous pour plusieurs raisons fondamentales.

A. Raisons d’ordre moral, éthique et intellectuel

À cela il y a tout d’abord des raisons d’ordre moral, éthique et intellectuel. Moralement nous devons reconnaissance et gratitude à Dessalines pour sa grande contribution à nous autres êtres humains. Sur le plan éthique, nous devons admettre que trop souvent nous concevons, disons ou répétons trop d’idioties et de sottises historiques concernant Dessalines ; c’est par exemple le cas quand nous qualifions Dessalines de sanguinaire et d’incapable et encensons un Jules César, un Napoléon, un Abraham Lincoln, un Harry Truman, un Mitterrand ou un Bill Clinton ; c’est aussi le cas quand nous fermons maladroitement l’œil sur le fait que de tels hommes d’État n’ont pas eu ni les mains ni le cœur plus propres que ceux de Dessalines. Intellectuellement, l’objectif de réhabilitation de Dessalines nous impose un triple devoir : premièrement un devoir de nous former ou de nous éduquer en Histoire et en Culture civique et humaniste en vue d’éduquer aussi les autres ; ce premier devoir intellectuel nous oblige à aller au fond du puits pour en tirer la vérité. Notre deuxième devoir intellectuel, c’est de nous armer de la méthode de l’historien laquelle veut que, en Histoire, la première démarche du chercheur soit de se poser des questions justes et rigoureuses et de chercher à connaître et comprendre ; connaître conduit à la compréhension et vice versa. Comprendre et connaître garantissent ensuite la haute qualité historique de l’explication. Et notre troisième devoir intellectuel dans cette mission, c’est de nous armer de l’émotion ou de la sensibilité créatrice pour faire revivre Dessalines dans nos divers champs de production littéraire, artistique, technique et scientifique.

B. Raisons d’ordre patriotique et humaniste

Abordons maintenant les raisons d’ordre patriotique et humaniste qui militent en faveur de la réhabilitation de Dessalines. Elles se ramènent à ceci : si nous continuons d’ignorer Dessalines et les termes de référence qu’il a définis pour la liberté, l’indépendance, la dignité, le respect, la prospérité et pour le bien-être du Peuple haïtien, la Nation haïtienne, sa culture et sa civilisation, tout ce qui fait d’Haïti un Patrimoine universel de grande valeur va disparaître. Et si Haïti disparaît, comme cela semble être la voie dans laquelle on l’a engagée depuis quelques années, cela aura un effet de domino. Et très probablement, les peuples de la terre retourneront à l’Innommable. Je parle ici de cet innommable-là qui a fait le malheur de l’Amérique indienne et de l’Afrique !

C. Raisons liées aux exigences de la cohérence et de la vérité historiques

En troisième lieu, il nous faut réhabiliter Dessalines pour ne pas continuer à sombrer dans l’anachronisme et le révisionnisme face à l’histoire de l’évolution des idées et institutions politiques et sociales. En effet, très souvent, trop souvent même, nous succombons à ces deux pièges, ennemis dangereux de la vérité historique, dans notre conception et notre représentation mentale et factuelle de certains des concepts clé qui constituent les points de repères et la fierté suprême des sociétés actuelles, à savoir les libertés publiques, les droits de l’homme, les droits humains, les élections, la démocratie libérale et représentative. À cet égard, il nous faut faire remarquer que ces belles conquêtes que les démocraties occidentales et monsieur-tout-le-monde claironnent aujourd’hui et que les jeunes et ceux qui n’ont pas lu l’histoire prennent comme des valeurs courantes et de tous les temps sont récentes. Ensuite, elles sont sorties en Occident, et comme partout ailleurs, et nous ne faisons pas là de l’apologie mais le constat de ce fait-directement de la matrice de mouvements sociaux violents et sanglants. Ces changements proviennent de camps opposés qui se sont affrontés jusqu’au triomphe du camp qui possède, comme dirait Ben Gourion, la « supériorité de volonté ». Et, généralement, il y a eu dans les différents camps en affrontement de nombreuses victimes résultant non seulement des combats armés mais aussi de répressions gouvernementales ou de leurs alliés, d’attaques armées par des camps revendicatifs ou révolutionnaires, etc. Les moyens utilisés par tous ces camps étaient divers : fusillades, massacres à l’arme blanche, exécutions et exils massifs, séquestre de biens, décapitations de souverains et de membres de leur gouvernement, déportations et assassinats de révolutionnaires, etc. Tels que nous les connaissons aujourd’hui, les droits de l’homme, les droits humains, les libertés publiques (en gros les droits de la personne humaine), les élections et la démocratie sont passés, en prenant naissance, par ce chemin difficile des révolutions et des guerres brutales qui les ont précédés, accompagnés ou suivis et qui ont garanti leur triomphe et institutionnalisation.

Conclusion

Comme on le voit bien, il est fort injuste et improductif de faire le silence sur le nom d’un révolutionnaire de l’envergure de Dessalines qui a joué un rôle si fondamental dans l’émergence et l’implantation des valeurs humanistes à travers le monde. Il est même criminel de chercher à ternir ou détruire sa mémoire. Ignorer Desssalines ou effacer sa mémoire, c’est contribuer à détruire Haïti, la Nation haïtienne et la civilisation haïtienne en tant que Patrimoine Universel. En s’érigeant en asile de régénération particulièrement réservé à ceux de l’Univers qui fuyaient l’oppression, les persécutions, l’esclavage, le colonialisme, le racisme, l’exploitation et le dénuement, Haïti s’est faite une Terre à part, un Lieu sacré. Entre la cérémonie du Bois-Caïman, la Bataille de Vertières et la création officielle de l’État haïtien le 1er janvier 1804, c’est toute une nouvelle humanité que les révolutionnaires haïtiens ont créée et proposée en prototype à la Conscience universelle. Et l’univers entier doit savoir et célébrer le fait que, Dessalines, aux côtés du grand Toussaint Louverture et après Toussaint, était toujours l’axe centrale de cette inégalable épopée. Avec Dessalines, d’abord en second et ensuite aux commandes, la Révolution haïtienne a donc forcé l’humanité à faire un bond qualitatif gigantesque et extraordinaire. Elle a prouvé et consacré l’égalité d’aptitude de tous les hommes ; elle a créé le droit de tous les hommes à la liberté et de tous les peuples à l’autodétermination. Dessalines a donné sens plein et entier, c’est-à-dire universel, à la notion de Droits de l’Homme proclamée par les révolutions occidentales. Il a aussi rendu possible l’avènement des Nations Unies et de leurs grandes déclarations à allure universelle relatives aux droits de la personne humaine. Et mieux, Dessalines, en triomphant à Vertières (…) a très probablement préservé les générations humaines postérieures d’au moins deux bons siècles de tragédies flétries, endolories et ensanglantées par l’esclavage de plusieurs millions de ressortissants des continents comme l’Afrique, l’Asie, l’Océanie et l’Amérique (Rémy 2013: 128)4.

Il est donc évident que Dessalines, ses autres camarades révolutionnaires, le Peuple Haïtien et Haïti avaient brillamment éclairé la voie du genre humain dans la réalisation de ses aspirations supérieures. C’est dire qu’ils avaient bien mérité de l’humanité entière et qu’ils constituent véritablement un Patrimoine universel de premier ordre. Or, comme cela se constate aujourd’hui et comme nous l’avons montré dans notre récent ouvrage Réflexions stratégiques sur Haïti, ce patrimoine universel est aujourd’hui en grand péril. Les balises et les conquêtes de Dessalines pour Haïti et l’humanité sont en train de périr, attaquées et mises à mal là où elles ont pris naissance, c’est-à-dire sur le sol haïtien même !

Il est donc impératif de revenir à Dessalines, le reconnaître et l’admettre dans la plénitude de sa valeur et de sa grandeur; car si dans tout l’univers, malgré l’imperfection de tous les hommes, il faut choisir un être humain et un seul être humain pour symboliser l’antiesclavagisme, l’antiracisme, l’anti-colonisation, l’anti-hégémonie, l’anti-exploitation, l’anti-exclusion, l’anti-colonialisme, l’anti-impérialisme, le panaméricanisme, la solidarité et la coopération internationale horizontale, l’humanisme et l’égalité souveraine de tous les hommes, de tous les peuples et de tous les États, et qu’il faille le faire en toute objectivité et en toute justice humaine, cet homme a été, est et sera incontestablement et immanquablement Jean-Jacques Dessalines.

—Luc Rémy auteur de Réflexions Stratégiques sur Haïti) lucremyremyluc@yahoo.com

Notes

1. Thomas Madiou : Histoire d’Haïti, Tome 3: 1804–1807, Les Éditions Fardin 1985, p. 138.

2. T. Madiou : id, p.138

3. Luc Remy : Réflexions stratégiques sur Haïti, Sauvons un Patrimoine Universel en Péril, X-Libris, Edwards Brothers Malloy, New Jersey, 2013, p. 126

4. Remy : id., p.128

(Publié pour la première fois sur le site moisducreole.ca)

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