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Pas de construction d’Haïti

sans la budgétisation des sources de détournement des fonds publics (texte remanié)

—par Franck Laraque

Vifs remerciements à Tontongi qui a pris l’initiative de cette activité, aux autres organisateurs, contributeurs qui l’ont embrassée, aux présents et absents. Une pensée spéciale pour nos morts en général et en particulier pour ma femme Anne-Marie et ma fille Marie-Hélène, Paul et sa femme Marcelle, Guy et sa femme Elsa.

Franck Laraque

Franck Laraque

Célébration

Rappelons que la date du 21 mai est proche du 18 mai (création du drapeau national et aussi de la consécration de l’armée indigéniste sous le commandement de Dessalines, initiée par la prise d’armes de Pétion, de Clerveaux, le 13–14 octobre 2002 et de Dessalines le 17 octobre, par coïncidence même jour et mois que son assassinat le 17 octobre 2006). Aujourd’hui donc fête de l’amitié et des valeurs familiales, communautaires pour la préservation de la culture nationale (sans cette culture impossibilité de défendre la souveraineté nationale), en solidarité avec les victimes de Janvier 2010 et la libération du pays (souveraineté nationale, priorité de la souveraineté et de la sécurité alimentaires).

Ont témoigné les parents, les écrivains, amis artistes, animateurs de programmes radiophoniques suivants : Dr. Danielle Arena, Marc Arena, Michèle Laraque. Le militant Ernest Barnathe. Jean-Claude Cajou, comme maître de cérémonie. Berthony Dupont, directeur de Haïti Liberté, auteur de Pliye pa kase, et Jean-Jacques Dessalines Itinéraire d’un Révolutionnaire. Professeur Alex Dupuy, auteur de Haiti in the World Economy; Haiti in the New World Order; The Prophet and Power: Jean-Bertrand Aristide, Haiti and the International Community. Prince Guetjens, critique littéraire, critique d’art, musicien et son ensemble Tayno. Kim Yves, cinéaste, membre de la rédaction de Haïti Liberté. Josaphat-Robert Large, auteur de Nerfs du Vent ; Chute de Mots ; Pè Sèt ; Les sentiers de l’enfer ; Les récoltes de la folie ; Les terres entourées de larmes ; Rete ! Kote Lamèsi ! ; Partir sur un coursier de nuages. Denizé Lauture, auteur de Father and Son ; Bonga ; The Black Warrior and other poems ; Running the Road to ABC ; Wikipédia. Dr Frantz Latour (son frère François assassiné est jeté sur le pavé), éditeur rédacteur de Haïti Liberté, en constante création d’un français haïtien dans ses articles. Professeur Frantz-Antoine Leconte, auteur de La Tradition de l’ennui splénétique en France ; Le viol du nouveau monde ; En grandissant sous Duvalier ; Haïti et la Littérature ; Jacques Roumain au pluriel ; Le vodou en Haïti : Les mythes revisités. Papadòs (André Fritz Dossous), poète, dramaturge, auteur de Pataswèl ; Pikan Kwenna, de 22 pièces de théâtre, dont trois publiées Ròchnansolèy, Nansoulye Washington et foli grandè. Le poète Tony Leroy. Hans Roy, petit-fils de Georges Petit (ami et compagnon de lutte de Jacques Roumain), directeur d’un programme de radio, artisan d’une alliance potentielle diaspora-paysans haïtiens. Hughes Saint-Fort, linguiste, chroniqueur « Du côté de chef Hughes » dans Haitian Times, rédacteur en chef de Francographies. Etienne Télémaque, ingénieur urbaniste, conférencier, animateur de programmes de radio, il a perdu son frère lors du séisme du 12 janvier 2010. Tontongi (Eddy Toussaint) journaliste, éditeur en chef du journal trilingue Tanbou et du site Tanbou.com et de Trilingual Press, auteur de Cri de rêve ; The dream of Being ; The Vodou God’s Joy/Réjwissans lwa yo ; Critique de la francophonie haïtienne ; Poetico Agwe. Paul Tulcé, auteur de Plongaye ; Kenbe tren an (inédit). Sylvie Michel, venue exprès de Miami. Jean Béliard Lucien, ancien étudiant de Franck. Le cinéaste Frantz Voltaire. Le photographe Edgar Lafont. Gérard Pétrus. Ont aussi contribué la poétesse Jeannie Bogart et la chanteuse Jocelyne Gay. Nous avons entendu avec émotion la voix de Jacques Elie Leblanc, de Max Manigat et de Jérémie Laraque Two Elk, qui, outre leurs textes, ont appelé au téléphone au cours de l’activité.

Nous n’oublierons pas non plus les autres membres de Haïti Liberté, Léonia Lamour, Didier Leblanc, Minouche Lambert, Yves Camille qui ont pris soin de la salle, se sont dépensés avant, pendant la fête, pour l’éclosion de cette chaleur humaine bercée par l’ensemble Tayno. Nous tenons à signaler les écrivains présents et leurs œuvres pour qu’ils fassent connaissance ici, leur importance dans la bataille idéologique qui doit être maintenue pour ne pas laisser le champ libre aux intellectuels de la droite et de l’extrême droite qui veulent maintenir le peuple et le pays dans le statu quo. Un statu quo qui signifie tutelle, exploitation des masses et vol organisé des biens publics, le maintien d’une marche arrière annoncée.

Idéologie en action

Nous continuons d’insister que cette idéologie, si brillante soit-elle, ne peut pas se confiner aux théories, elle doit se manifester dans le domaine économique pratique, les conditions de vie des masses urbaines et rurales pour leur conscientisation économique. La connaissance non seulement de la constitution pour la défense des droits politiques et civiques mais du budget, des différents contrats de l’État, des structures d’exploitation qui maintiennent le prolétariat et le sous-prolétariat dans la pauvreté et la misère. Sans quoi ils sont vulnérables et subissent un lavage de cerveau par des slogans populistes des experts de la tromperie.

Il ne s’agit pas pour écrivains et artistes d’être économistes mais d’avoir une vue générale sur les revenus et dépenses de l’État car ils affectent l’existence des démunis. Il nous faut savoir les causes de l’accroissement de la vie chère qui profite à l’étranger et aux gros commerçants et surtout ce qui doit être fait pour changer cette inégalité criante. Faire connaître les solutions pratiques qu’apportent des individus comme le frère Francklin Armand, à Hinche et Jean-Claude Fignolé aux Abricots, Food for the Poor, Fonkoze à Fondwa (université pour l’art vétérinaire et l’entraînement des petites marchandes) ainsi que Lambi Fund dans le même ordre avec ses vingtaines de branches dans les sections rurales surtout.

Tout en continuant notre mission d’écrivains et artistes engagés, il nous faut nous renseigner sur un minimum de connaissances à transmettre ou véhiculer aux masses pour ce que j’appelle la conscientisation économique des Haïtiens (conscience ou connaissance plus action) au lieu de répéter des slogans ou des généralités. Par exemple, il ne suffit pas de dire que les Duvalier et leurs acolytes sont des voleurs. Il faut donner les preuves, les sources de leurs détournements et les structures de corruption qui demeurent pour qu’on les supprime.

Importance d’une enquête sur la corruption

Un document intitulé : François St Fleur, ministre de la Justice de la République d’Haïti et al. Rapports sur les Finances de Jean-Claude Duvalier et Cie (1987), une enquête partielle, montre les montants détournés, les bénéficiaires, les entreprises de l’État ciblées, les moyens employés. Ce rapport donne la preuve d’une partie du montant total volé par les personnes suivantes : Jean-Claude Duvalier, $120,574,575. Michèle B. Duvalier, $94,603,083. Mme François Duvalier, $2,049,241. Nicole Duvalier, 3,223,468. Simone Duvalier, $437,921. Marie-Denise Duvalier, $1,119,163. Jean Sambour, $109,123,503. Frantz Merceron, $59,870,876. Auguste Douyon, $120,010,697. Les entreprises de l’État siphonnées : Ministère des Finances, Régie du Tabac, Minoterie d’Haïti, Loterie de l’État Haïtien, Commission du contrôle des Jeux de Hasard (CCJH), Organisation des Assurances des Véhicules contre Tiers (OAVCT), TELECO, Électricité d’Haïti, Ciment d’Haïti, Banque Nationale de Crédit, Direction Générale des Impôts. D’autres entreprises seront l’objet d’une enquête future : Magasin de l’État, Ministère du Commerce, Administration Aéroport International, Office National d’Assurance Vieillesse, Bureau de Supervision d’Entreprises Mixtes. « Le siphonage » des revenus publics d’Haïti s’opérait à deux niveaux : au niveau des « dépenses » (dépenses administratives) et au niveau du « profit net » (comptes extra-budgétaires).

Un autre aspect mémorable de cette enquête, c’est qu’elle indique que $120 millions auraient permis de fournir de l’eau potable à la population, ou de subvenir à l’éducation de plus de 240,000 enfants, ou de contribuer à nourrir les plus de 25% de la population infantile souffrant de malnutrition. Ce rapport ne fait pas mention des centaines de millions siphonnés des recettes consulaires par les Duvalier. Mené en 1987, il n’a eu aucune suite et le Ministre de la Justice ne semble pas avoir été autorisé à le compléter. Les revenus de la plupart de ces entreprises publiques n’ont pas été budgétisés après le départ de Jean-Claude Duvalier et ces entreprises sont restées des sources de détournements de fonds publics pour récompenser les partisans et les copains au lieu d’être investis dans des programmes sociaux et de développement économique.

On comprend ainsi pourquoi l’on demande à l’étranger de couvrir les deux tiers du budget national et déclare, encouragé par les « gouvernements amis », la Banque mondiale, Le Fonds Monétaire International et les grands bailleurs et l’ONU, que les prêts sont indispensables. Pourtant Jean Ziegler, rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à la nourriture, auteur de The Empire of Shame et d’autres experts prouvent que la dette enfoncée dans la gorge des peuples avec la complicité des présidents déprédateurs est une dette odieuse, un garrot ou tourniquet pour étrangler le pays emprunteur, créer la faim et empêcher tout développement. Heureusement que les démarches de président Bush pour le faire révoquer n’ont pas abouti.

Au niveau international, la corruption s’exerce aussi dans d’autres domaines. L’ex-président Bill Clinton avoue avoir favorisé les producteurs de riz d’Arkansas au détriment de la production de riz haïtienne en demandant en 1994 au Président Aristide de réduire la taxe à l’importation. Une baisse de tarif qui a contribué grandement à éliminer toute la production nationale d’Haïti. Qui pis est, lorsqu’il est devenu co-président de la Commission Intérimaire, aucun journaliste n’a pensé à lui demander au cours d’une conférence de presse quelle mesure il prenait pour réparer le dommage causé. En dépit du fait qu’Acaau, paysan du Sud, réclamait dès 1843 (comme je l’ai écrit dans l’article « L’Incessante lutte des masses haïtiennes pour la liberté et leur existence », non pas en 1853 dit par erreur) un système de taxation favorable à l’exportation de nos produits.

Continuité de la corruption

En effet, dans Monsieur le Ministre… Jusqu’au bout de la patience, Raoul Peck, ancien ministre de la Culture, sous Préval en 1997, témoigne au sujet d’un contrat de téléphone cellulaire : « Ce n’est pas parce que nous sommes dans le mouvement lavalas que nous ne devons pas faire de l’argent. » Ce cri du cœur que le ministre des Finances (Fred Joseph) ne peut retenir ramène finalement le débat à son véritable enjeu : l’argent… Quatre-vingts pour cent des gros contrats de construction sont pris par des anciens macoutes, anciens militaires, ou les fils de ceux-ci… La plupart des appels d’offre sont en effet gagnés par les héritiers des régimes précédents… Ce qui prouve que le pouvoir réel, le pouvoir économique, ne change pas de mains rapidement, même après une « révolution »… « le deal du siècle » pour le téléphone cellulaire ne s’est pas fait jusqu’ici parce que les « partenaires » n’ont pu s’entendre sur le partage du gâteau.

Nous avons dans plusieurs articles mentionné la grande importance de la connaissance du budget, document aussi important que la constitution, garanti à plus de 60% par l’étranger alors que nous avons indiqué des suppressions de dépenses et accroissements de revenus pouvant offrir une disponibilité de 300 à 400 millions de dollars à investir dans des projets de notre choix. Voici ce que dit Peck sur la gloutonnerie coutumière des dirigeants : « Nous trouvons un déficit budgétaire colossal, de l’ordre de 1,3 milliard de gourdes (près de 87 millions de dollars), à peine à la moitié de l’année fiscale 1995-1996, alors que 800 millions de gourdes (environ 53 millions de dollars étaient prévus pour tout l’exercice fiscal. Ce déficit est en grande partie lié à des dépenses extra-budgétaires, notamment dans le cadre des « petits projets de la Présidence. »

Nous avons voulu en donnant quelques exemples signaler la nécessité pour nous tous de nous intéresser aux problèmes quotidiens auxquels sont confrontés les résidents des bidonvilles, des démunis sous les tentes et à la recherche avec des personnes sur le terrain de solutions concrètes tenant compte des ressources matérielles et humaines. L’argent volé n’est pas simplement un acte criminel, il est avec la dette odieuse deux des causes principales de la pauvreté des laissé(e)s-pour-compte qui doivent en être informé(e)s pour leur mobilisation.

Conclusion

Il est impératif pour nous tous d’entrer en contact avec des institutions et groupes en Haïti, non inféodés à aucun gouvernement, tels des groupes sociaux, des experts de l’ECOSOFSA. (Experts-conseils en Économie, Finance, Gestion et Société), de La Fondation Groupe 73, des associations de paysans, anciennes victimes des Tontons Macoutes, le Mouvement Paysan de Papaye, PAPDA, Frère Francklin Armand, les associations haïtiennes qui travaillent avec les victimes sous les tentes. Ces contacts sont possibles si nous comprenons la nécessité de nous abonner à un journal comme Haïti Liberté pour avoir sur place des journalistes affectés à la poursuite de ces contacts, d’acheter les livres d’écrivains progressistes, les œuvres d’artistes travaillant dans ce sens.

La réunion de ce soir peut encourager des rapports progressistes en faveur du peuple. C’est en somme ce que nous vous exhortons à poursuivre. Merci de nous donner une telle opportunité au cours de cette exaltante activité artistique, littéraire, solidaire, pour laquelle vous vous êtes tant dépensés, particulièrement les responsables et membres d’Haïti Liberté.

Ensemble nous pouvons faire d’autres recherches pour convaincre que toute construction ou reconstruction d’Haïti exige de budgétiser les fonds publics et d’établir un budget du peuple, avec le peuple, sans les dépenses extra-budgétaires, sans la dette odieuse à ne pas accroître (malgré l’appel des sirènes étrangères), garantissant les droits politiques et économiques de tous.

Fraternel abrazo

—Franck Laraque Professeur émérite, City College, New York, publié pour la première fois dans Haïti Liberté, no. 46, 1–7 juin 2011)

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