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Revue de livre

Les lunes d’or du cactus de Denizé Lauture

ISBN: 978-1-936431-34-2
Editions Trilingual Press, 2017

En le lisant, je me demandais : Pourquoi Denizé Lauture titre-t-il son livre « Les lunes d’or du cactus »? Pourquoi le cactus aurait-il des lunes d’or ? Lisant plus loin, j’ai découvert la raison : l’héritage paysan de l’auteur. « Paysan » est ici employé dans l’acception primale, organique du terme, c’est-à-dire authentiquement lié au terroir naturel. L’auteur est certainement fier de ses origines paysannes et ouvrières ; dans sa notice biographique, il se déclare, avec une sorte de fierté voilée, « fils d’humbles paysans ».

La couverture de «Les lunes d’or du cactus» de Denizé Lauture.

La couverture de Les lunes d’or du cactus de Denizé Lauture.

Une autre thématique secrète que j’ai décelée dans la poésie de Lauture, qui, elle aussi, se lie organiquement à sa provenance paysanne, c’est la prépondérance de ce que j’appellerais la poétique de la nature, évidente dans presque la moitié, sinon la majorité, des titres du présent recueil : « Un autre arbre je suis », « Le poète et l’arbuste », « le nid », « Les oiseaux du grand pond », « Le cauchemar des feuilles », « Laronde des comètes », pour ne citer que quelques uns.

Le rapport avec la nature est important chez l’auteur, qui s’engage depuis des années dans un projet de développement des puits d’eau dans sa région natale ; mais nature doit être ici vue dans le sens existentialiste du terme, c’est la nature comme environnement physique, géographique et affectif, lieu empirique de l’expérience de la vie. Son poème « L’ombre aux hanches de feu » montre le monde naturel, tel un La Fontaine à rebours qui privilégie la qualité destructive de la nature, non pas comme participant à part égale dans le processus de la réalisation de l’Être et du vécu, mais plutôt comme danger mortel. Les deux courtes strophes de ce poème dévoilent le côté infernal, inapprivoisable de la nature avec toute sa virulence :

Les nuages rouges
Forment de multiples cercles
De rondes gueules
Béantes rouges
Le firmament
Une galaxie de volcans
En éruption
Une galaxie détraquée
Chavirée
Atteinte du vertige
Des anses rouges
…Fatale est
L’oscillation de la lune
Elle roule le tango
De la mort.

J’étais personnellement ravi de voir dans le recueil l’inclusion du poème « L’arbre de la belle Marcelle » que Denizé a dédié, comme il le dit dans la dédicace après le titre : « au Poète Paul Laraque le lendemain de l’ADIEU de son adorable épouse ». C’est un poème dont j’étais très familier, mais à le relire dans la collection, il me donne un sentiment nostalgique, il me retourne au temps où je voyais beaucoup Paul et Marcelle, leur entente amoureuse et idylle maritale, Paul, marxiste rebelle en rébellion contre la discipline sérielle et l’obéissance étatique que sa formation militaire lui a inculquée, et Marcelle, catholique pieuse qui admire la passion révolutionnaire de Paul.

La quatrième de couverture de «Les lunes d’or du cactus» de Denizé Lauture.

La quatrième de couverture de Les lunes d’or du cactus de Denizé Lauture.

Denizé Lauture commence le poème par une liste d’observations qui indique une certaine intuition à l’émoi de son ami, Paul, dont il est au courant du grand sentiment d’amour qu’il porte à son épouse. J’ai eu moi-même à observer cette profonde affection qu’ils ressentent l’un pour l’autre, Paul et Marcelle, cette dernière est souvent désignée comme « Mamour » dans les poèmes de Paul. Citons le beau poème de Lauture :

Je sais que tu aimais le parterre
Où se prolongeaient ses racines.
Je sais que tu aimais ses racines
Qui nourrissaient son tronc.
Je sais que tu adorais son tronc
Qui fortifiait ses branches.
Je sais que tu adorais ses branches
Qui te procuraient la douceur de leur ombre.

Je ne vais pas citer ici tout le poème, mais ces lignes vous disent déjà où veut en venir l’auteur. Je me contenterai de citer seulement les six dernières lignes du poème où l’auteur bénit leur union, celle entre Paul et Marcelle, reconnaissant une réalité idyllique déjà profondément établie :

Et Camarade des plus folles comètes !
Je sais que dans tes artères coule la sève
De l’un des plus forts chênes de « La-rak ».
Le souffle puissant de ton cosmos poétique
Rendra Belle Marcelle immortelle, immortelle
Dans un poème-fleuve d’un demi-siècle d’amour.

Cette force d’intuition, de pénétration poétique, de survol dans le réel, le surréel et le naturel continue tout au long du recueil. Les Lunes d’or du cactus est une œuvre formidable dans la galerie d’excellence de ce grand poète haïtien. Denizé Lauture y reprend la poésie désarçonnante que nous lui connaissons, celle-là qui demande à l’ombre du cactus « où sont ses lunes ? » Encore une fois, son univers poétique couvre et les barbares qui charcutent le corps et sucent la « moelle du poète » et les grands émerveillements de la nature, la « galaxie des volcans, les astres désorbités », bref, une sorte de danse folle et réjouissante à fois.

—Tontongi, 2017

Vous pouvez commander Les lunes d’or du cactus chez Presse Trilingue.

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