De gauche à droite : Gérald Bloncourt, James Noël et Max Bourjolly chez Bloncourt à Paris, dans le 11è arrondissement, le 11 décembre 2007. —photo courtoisie Thomas Spear.
Gérald Bloncourt est un géant de l’histoire et de la littérature haïtienne d’expression française. Je l’ai rencontré au cours du colloque international sur le centenaire de naissance de Jacques Roumain organisé par la Faculté de Linguistique Appliquée (FLA) en décembre 2007, à Port-au-Prince. Sa présence était très remarquée et a donné à l’événement un caractère historique étant donné son rôle dans les événements dits « Révolution de 1946 » initiés par le groupe d’écrivains de la revue La Ruche dont il faisait partie (certains des autres membres comprenaient René Depestre, Jacques Stéphen Alexis, Gérard Chenet, Théodore Baker, Roger Gaillard, etc.). Grand écrivain, peintre et photographe, il passait son temps ces derniers temps à écrire des blogs ou à filmer des scènes pour mettre l’éclairage sur les conflits sociaux en France et les Amériques ou pour éduquer sur les conditions des travailleurs. Expulsé d’Haïti après les « Cinq Glorieuses » de 1946, il vivait en France jusqu’à sa mort survenue ce lundi 29 octobre. Il avait 91 ans.
Le plus mémorable souvenir que j’ai de lui, c’est quand au cours d’une visite en décembre 2007 de notre délégation d’écrivains au perestil de Max Beauvoir à Mariani, j’insistais pour traduire en créole haïtien une présentation qui était faite en français ; à l’objection de certains membres de la délégation, j’entends encore sa voix haute, d’un baryton impérieux, qui criait : « Laissez Tontongi traduire ! » La mort de Gérald Bloncourt est une grande perte à la fois aux arts, à la littérature et à la cause de la libération politique des peuples opprimés. Nous présentons nos humbles condoléances à sa famille et à ses amis.
J’ai inclus son nom parmi les personnalités et événements que je trouvais particulièrement frappants au cours du colloque de 2007. Voici le petit profil de lui que j’ai publié dans mon livre La Parole indomptée/Pawòl an mawonnaj (2015) :
« Te gen tou moman-siyifyan rankont Gérald Bloncourt ; li antre sitèlman nan nannan listwa “revolisyon 1946” lan ke m pa t menm konnen si li t ap viv toujou. Avèk laj 81 zane li ekzibe yon jenès ak yon bonjannri ki atire tout moun. Se te enteresan pou te wè kontras ki diferansye l de René Depestre, ki vin lese lanmou li pou Lafrans vin pèdi nanm li. Mwen pwovoke sijè a e mande Bloncourt sa l panse de “rekolonizasyon” Dayiti Depestre pwomote nan dènye liv ak ekri li yo. Misye reponn pou l di li pa pataje analiz Depestre sou sitiyasyon Ayiti a, men li pa di plis, ou santi li gen plis bagay li ta vle di sou bagay la si li pa t nan pami yon pakèt etranje. Li klè Bloncourt toujou ret djanm nan lit kont fòs estriktirèl yo k ap depalfini lavi keseswa ann Ayiti, Ozetazini oubyen an Frans kote misye ap viv. Prezans li sèlman pami nou te temwaye yon pwezi vivan nan kalvè lit pou chanjman nan peyi a. Li temwaye kontinuite lespwa nan yon lit pou chanjman ki pa lese l dekouraje pa movèz pas ni trayizon, ni menm distans ak tan. »
—Tontongi
Notre ami Alain Saint-Victor nous a fait parvenir ce poème de Gérald Bloncourt :
N’oublie pas
Tu es la rescapée des fibres de l’au-delà imprécis de mon retour possible
Tu es l’ultime escale de mon espoir-vertige précipice intégral de mes jeunes années
Tu es ce que je fus
timbre-poste des missives-solaires de cette civilisation-transit
vers l’authenticité la vérité l’abnégation
la tendresse le courage le labeur le respect
Déjà s’écoutent les clameurs fortes des foules solidaires
Déjà s’étreignent les mains d’ouvriers du bonheur
Un jour se lève en ma mémoire Dis-leur avant midi
Jacques-Stephen-Alexis-la-Colère et nos millions de morts N’oublie pas Roumain et Perralt
nos paysans du Nord patriotes-cacos N’oublie pas ceux du Sud Marchaterre et les autres Rappelle Fort-Dimanche
Cazal et Jean Rabel
Parle-leur de tous nos tracassés torturés
massacrés
de tous nos disparus anonymes et fidèles Raconte-leur les larmes l’atrocité
la peur N’oublie pas
C’était notre ferment Midi est proche
Sois avec eux dans la lumière Je serai parmi vous
pour ceux qui ne sont plus…
—Gérald Bloncourt Paris, février 1988. Cet hommage est aussi publié dans l’hebdomadaire Haïti Liberté
Gérald Bloncourt, 4 nov. 1926–29 oct. 2018.