Poèmes de Lenous Guillaume Suprice
Si décatie ta grande tour
Tu détestes les passants qui ne se couvrent pas d’étoiles hurlantes à ton goût de vaniteux…, jusqu’à leurs ombres qui n’ont pas les parures de Norvège sur le corps ou dans les yeux, aussi amer qu’en manque d’essentiel, de savoir-être s’entend.
Tu craches de haut, au bas mot, dégaines tes incisives, tes crocs, pour tout dire, contre ces créatures, avec une froideur à glacer le centre de n’importe quel volcan en écart d’excitation.
Jamais, tu ne cesseras, crois-tu, de déshabiller les pierres des autres pour embellir les façades de ton opulence, de ton petit monde, et fermenter ta crapulerie derrière les murs d’une ignorance sans précédent.
Passant du mensonge au pire, par manque de perspective, tu finiras par t’embourber les défenses, le toupet et le reste…, alouette sans aveu, pachyderme sans façon, dans ta quête d’un renom de cristal que jamais tu n’auras.
On a choisi, comble d’un mauvais dessein, quelqu’un de ta trempe, tes tableaux de vomissures les plus détestables, pour décorer les clôtures de ton village de verre et d’acier.
Maintenant les mains souillées de tes groupies, tes coups de gueule à l’avenant, ramènent au temps des fruits par le malheur asphyxiés dans les arbres d’un vent de haine.
Si décatie ta grande tour, aujourd’hui, qu’elle arrive à peine à cacher ses laideurs, mais projette l’image d’une répugnance autour où il y a photo avec la tienne propre, si malsaine pour le regard.
Convenablement, la laideur et le tumulte s’installent en tes rengaines, en tes déformants miroirs, alliage sans queue ni tête, augure indubitablement néfaste pour les sensés de la Terre.
Dans ton étang d’ordures, s’exhibent des truites et des vermines attisant l’intérêt de chafouines mouches à la tonne.
Patauge comme tu veux dans tes frileuses glorioles, savoure comme tu peux tes marécages, mais n’arrache plus l’humanité, dans l’arbre d’autrui, avec ta mesquinerie et ta venimeuse sottise.
(Montréal, le 14 janvier 2017)
La prochaine fois du blé…*
(aux victimes de l’esclavage d’hier et d’aujourd’hui)
Quelqu’un vient, n’en revient pas, de ton immensité s’étendant du lieu d’éveil de la lumière à celui de son sommeil…et du centre au méridional, tournant le dos à un désert, à l’hostilité, à la suffisance, à des lacs de haine ou de mépris
Tu t’égares dans une sans fin rotation, en quête de presque rien, entre un pot-au-feu et puis de ternes commensaux, au passage d’un simoun de face
Insolente au jour le jour, ta roche ne mousse plus rien, même pas sa candidature à l’élévation, dirait-on, avec son regard jeté dans la piscine du passé
La prochaine fois, un blé en abondance sera là, offert à tout ton corps en fuite, devant l’avancée de cette trop longue disette sur l’essentiel
À quelques reprises, des taxidermistes s’amusent à faire peur aux loups qui ont faim de joyeuseté dans tes humeurs
Avec plusieurs voiliers qui vont presque nulle part, les jours se lèvent sans façon, depuis la désertion de tes pourvoyeuses de vagues, de torpilles et d’autres petits bonheurs de poissons en fugue
Prise comme telle, selon ton entendement, une route de paquebot, qu’elle s’ouvre sur de riches avenues ou qu’elle s’enivre dans l’univers d’un monde à part, avec vue sur les éclats d’une villa en sa tour-belvédère, elle n’est qu’un passage entre tous
Elle n’a rien d’extra pour pousser quiconque au délire, à faire l’apologie des oppresseurs d’hier et de toujours, à s’abreuver dans un bovarysme en rivière sans fond
Quelque chose en elle déplie la voile des dégâts, de plus en plus prolonge le tourbillonnement des couteaux dans des nuits aveugles de toute concordance
Tu avais un seul bateau pour tout lendemain, mais tu l’as perdu en voyage ailleurs, le temps d’une mésalliance avec la chance
Poèmes à la main, la bière ou le vin idem, les idées filent folles sans bruits, autres que des tessons de certaines voix, dans les cratères autour de toi
Au même instant, tous les miroirs de ton âme ont dégagé un doux parfum, un reflet jusque-là demeuré inaccessible au commun des passants
Malgré certains pairs qui t’arrangeaient si peu les choses au cours des jeux de l’enfance, tu as eu droit à ta part de clarté, malgré la pénombre des coups portés à ta princesse-dignité, eux qui ont laissé des couleuvres en cicatrice dans sa gorge
Elle n’a eu droit qu’à la serrure des mots donnant accès aux champs d’une confiance qui livre ce qu’il faut pour demain, qui délivre l’être d’un sans fin déséquilibre
La clé, elle la cherche encore et toujours
Malgré le fleuve en feu du jour sur le passé des douleurs, des chemins sont là, démocratiques, se réjouit-on à dire, parfois en se marrant à la dérobée, sans clan en apparence, pour les adeptes de la moutonnerie, il va sans dire, mais bien, assez souvent, pour entortiller les pas de ceux qui essaient de questionner les dérivations de prétendus guides en la matière…
Mais cache, cache-le bien, l’or du secret qu’elle a glissé dans ta tirelire, lis bien la formule avec laquelle, à ses pieds, tu jetteras une belle fortune sur le caquet ensanglanté de ses détracteurs.
(Montréal, 24 novembre 2017)
—Lenous Guillaume Suprice
* Extrait de À l’envers d’un échouage (recueil en préparation)
Poèmes de Vilvalex Calice
Les Intempéries de la vie
Peut-être encore demain.
Le temps m’attriste.
J’ai envie d’un peu de ciel bleu.
La pelouse a assouvi sa soif.
Les plantes se rassasient.
Fragile, j’ai failli faire une bêtise :
Sortir sous la pluie tête nue.
D’où vient cet élan de jeunesse
Qui si fortement m’anime.
À mon âge, je ferai mieux
de retourner au lit.
Le Passant
Il passe plutôt dans l’ordre du hasard
Boitillant, trainant sa charpente de clochard
Avec des pas doux, lourds et surtout douloureux
Au long du boulevard bruyant, crasseux et miséreux.
Aux taquines et insultes lancées par d’autres gueux
Il y répond par des mots très souvent fastidieux.
Eux, ces mendiants, qui se moquent de son infirmité
Comme lui ne savent pas d’où va venir leur diner.
Au grand concert quotidien des panses musiciennes
Il ne sait jamais quel instrument va jouer la sienne.
La pauvreté n’est pas un fléau, c’est un crime d’État
Qui v eut qu’on s’entretue pour un simple repas.
Le passant passe toujours sous une cohue d’injures
Quand il marche lentement au milieu des voitures
Poussant son cargo d’espoir, de marmites et de haillons
Laissant derrière lui une odeur de vieux cochons marrons.
Oui ! Tant qu’il y a de vie, on dit, il y a d’espoir
Mais la faim sans fin engendre le désespoir.
L’escargot passe lentement et laisse sa marque fugace
Le passant passera mais lui aussi laissera sa trace.
Et, tout ce beau monde qui se croit être très bon apôtre
N’a pu rien faire pour soulager la souffrance d’un autre.
Heureux, malheureux, pauvres, riches, bons et méchants
Nous sommes tous sur cette terre des passants.
Rien n’est éternel !
Que l’Éternel.
Rêve Posthume
Quand l’amour revient
Je ne serai plus la.
Le bonheur m’aura déjà exclu,
D’un geste de la main,
Du rang de ses heureux adeptes.
Cloitré sous les décombres de la vie
Entre la terre et l’espace
Je ne serai qu’un rêve évanoui,
Acheminé lentement vers l’infini
Sans ambages, souci et de bagages.
Frustré, désarmé, nu, vaincu
Je ne saurais me défendre dignement
Contre les astuces et pièges de la vie.
Mais, je sais parfaitement
Que l’amour, une fois, revenu
Deviendra la religion de l’homme.
Où est ce Paradis
Non. Mon pays n’est pas un paradis
C’est un espace vivace
De mornes, d’hommes et de roseaux
Assoiffées de survie,
Bourrés de rêves et d’espoir.
C’est un refuge d’oiseaux,
De pierres et des coquilles.
Mais aussi, condamner
À perpétuité sous le soleil brulant,
Le vent, la tempête, l’ouragan,
Le tonnerre, l’inondation, la misère
Et la colère des hommes et de la terre.
Haïti n’est pas un paradis.
C’est un monde inhibé
D’odeur, de couleur et de sueur
Mais aussi des rires d’enfants,
De lune et de vrai bonheur.
Non. Mon pays n’est pas un paradis.
C’est un espace vivant,
Grouillant d’espoir.
Haïti n’est pas morte.
Haïti ne sera jamais un paradis.
—Vilvalex Calice vivlib@aol.com
Poème d’André Fouad
Mr Président DÉ «TRUMP»EZ-VOUS
(En réponse à la déclaration du président américain Donald Trump)
aux fenêtres des amours délaissées
danse mon île
ton énième chant de révolution
de dignité
de liberté.
le temps a filé à tes doigts
mangé à grands coups
tes rêves
sur les bateaux des saisons
orphelines.
dans mon île
les artistes de tous horizons
repeindront les murs de ton ciel
tâches d’ombre de sang
de crachats.
Mr le président DÉ «TRUMP»EZ-VOUS.
—André Fouad
Poème de Tontongi
La coulée du vide et du plaisir
(À mes amis qui s’en vont au pays sans chapeau dans un très court instant)*
Le pont Neuf, devant les berges de la Rive gauche, vu depuis l’île de la Cité. —photo par David Henry
Mon univers est repeuplé
de disparus survenus
durant un court instant dans le temps ;
c’est une éclipse de l’immanence
ou l’alternance des contraires
tels la peine et le bonheur
les pleurs et les grands plaisirs,
la jouissance d’être avec des démons
qui hantent l’espace et empêchent
le confort de l’âme
et l’éclosion des sens.
Que puis-je en faire, dites-moi :
une longue agonie vers la nuit
ou l’abandon à l’extase des sens ?
Que puis-je en faire, dites-moi :
la poursuite de l’ombre de l’absence
ou l’élan vers les émerveillements ?
J’ai chanté de loin les obsèques
de beaucoup de mes amours défuntes
et maudit l’exil comme la solution
pour le manque et l’oppression ;
que n’eussé-je voulu qu’un beau matin
la jeunesse du temps me revienne
et que je revoie encore mes cousins,
avec qui je jouais, enfant, à Port-au-Prince,
ville aujourd’hui sous les bottes, engloutie
sous la crapule néomacoutarde, blottie
dans les débris du tremblement de terre,
perdue dans la traversée incertaine.
Mon panthéon mortuaire d’aujourd’hui
est garni de l’autre Manno, la voix
de Carrefour tombé en Floride
dans une salle d’hôpital sombre,
défiguré par l’envahissement de déboires
résiduels de la merde en terre étrangère,
les grands moments d’espoir du passé
trahis par la lâcheté et la démission
de plus d’uns de nos compagnons de malheur.
J’ai perdu une éminente lignée
de grands tribuns et griots de ma tribu
dans un très court instant du temps.
Mon panthéon personnel de ce coin
de Carrefour du temps de ma puberté
les roses de la flore multicolore, les odeurs
de jasmin sous la fraîcheur de la nuit.
C’était avant que les profiteurs du lieu
l’accaparent et font fuir tout le monde,
avant que d’un matin sans nul avertissement
et à l’exemple de Port-au-Prince jadis princier
toute la zone est sombrée dans la peur,
sombrée dans la lassalinasition bidonvillère,
sombrée dans la négligence nationale,
l’absence de l’État brillant dans la répression.
Ce n’est guère un salut, il faut le dire,
c’est l’absurde qui remplit le vide
souvent supplanté par le surréel.
Vous savez, Haïti est plus que vos fantasmes,
c’est le lieu de nos grands sacrifices,
les grandes montagnes où les dieux de Ginen
aujourd’hui fâchés comme en 1791
cherchent encore la voie du grand cheminement.
Mon cimetière se peuple aussi,
à chaque instant on dirait
dans ce foutu mois de décembre
de bien-portants changés en cadavres
—ô lugubre décembre !
C’était déjà un décembre
quand mon frère Simityo était mort,
c’était une mort si inutile !
Mon cimetière se remplit
d’un grand nombre d’ombres du passé,
c’est la vie elle-même vécue à petits feux,
le destin de nous tous, en somme, dénudé.
Le vide et ces départs soudains
s’apparentent à mon cœur affligé
à la déchirure de mes entrailles,
une grande part de mon monde
ainsi s’en va dans l’autre monde
—heureusement la danse existe encore.
Les instants qui ne reviennent jamais
et les visages qui s’effacent dans l’oubli
me sont autant de chutes de purgatoires,
des petites morsures qui me peinent.
Je m’efforce de me satisfaire,
en fermant les yeux,
de l’inéluctabilité de l’évanescence
et du printemps qui s’annonce
—heureusement l’éclosion revient toujours !
—Tontongi janvier 2018
* « Ale nan peyi san chapo » ou « s’en aller au pays sans chapeau » signifie mourir en haïtien.