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L’Éditorial de Tontongi

Le pourrissement d’Haïti et le salut national

Le retour impromptu de Jean-Claude Duvalier en Haïti témoigne du pourrissement de la politique haïtienne, lui aussi conséquence de la dégradation continuelle des conditions sociales, économiques, écologiques et politiques en Haïti. Ce pourrissement est arrivé à un tel point de putréfaction et d’absurdité que le petit dictateur, fils du Caligula tropical Papa Doc, qui a donné à la répression un caractère plus sympa mais autant meurtrière que son père, en vient à être considéré comme un recours alternatif sérieux en Haïti. Quelle ironie que ce pays n’aurait-il pas connue !

On a dit que le coup de choc de JCD peut être motivé par le souci de récupérer ses biens en Haïti (dont une nouvelle loi en Suisse lui en aurait garanti la réappropriation s’il rentre au pays sans se faire arrêter). De toute façon, quels que soient ses motifs, c’était compter sans la mémoire et la conscience des hommes et femmes de ces nombreuses familles, sortis de toutes les classes sociales en Haïti, qui étaient victimes des atrocités de l’un ou de l’autre des régimes duvaliéristes.

Certains nostalgiques et non informés des régimes duvaliéristes (notamment ceux-là qui étaient très jeunes ou qui sont nés après 7-février 1986) insinuent que les choses étaient meilleures en ces temps-là, que les rues étaient propres, que les maisons et les bâtiments étaient moins dilapidés, que les dégâts écologico-environnementaux étaient moins désastreux, etc. Ces nostalgiques vous parleraient de degré de dégradation, oubliant—ou faisant semblant d’oublier—, que le processus de dégradation d’Haïti a commencé justement avec et sous les Duvalier. Il est vrai qu’Haïti n’ait jamais été un paradis terrestre et que les régimes autoritaires se succédaient à un intervalle régulier, mais le type, l’échelle et l’ampleur de barbarie gouvernementale sous ces deux régimes ont été jusque-là inédits.

Ce que j’appelle le processus de dégradation, c’est la descente d’Haïti dans la nuit d’un fascisme totalitaire qui couvre la totalité du territoire du pays et des activités sociales, politiques, économiques, éducatives, familiales, etc. Elle imprègne même la psyché jusqu’au point qu’une mentalité macoutique en vient à y être implantée.

Les caractéristiques particulières des régimes duvaliéristes—comparés aux régimes politiques qui les précédaient—, c’était l’accession du gangstérisme au niveau de la légalité de l’État, s’accomplissant au grand jour, corrompant toutes les institutions nationales. Le gangstérisme comme activité criminelle clandestine dont on a honte d’en être associé était auréolé, sous les Duvalier, de l’imprimatur étatique, s’attribuant la carte blanche de voler et de tuer selon la voracité et le sadisme des adhérents duvaliéristes.

Comme je le dis ailleurs, le fascisme duvaliériste a projeté ses tentacules sur de larges populations : « Des millions de parents, qui n’ont pas eu de rang, traversaient les faubourgs, les plaines et les montagnes dans le fol espoir vain de trouver du pain, ou simplement de la tranquillité. Sur nos pas débiles marchaient des légions de Macoutes, le terrible nom de guerre de ceux qui, par la peur, par le vol, par l’épée, gouvernaient Haïti. Nous pleurions de douleur et d’indignation quand nous voyions nos sœurs, nos femmes et nos filles vendre la séduction au marché de la prostitution pour seulement pouvoir vivre comme une personne humaine ! » *

Front anti-duvaliériste et anti-fasciste

Haïti vit aujourd’hui dans une crise multiforme où elle a besoin des énergies positives de son peuple, de ses leaders, de ses amis ; la provocation réactionnaire de JCD est une distraction, ou pire, un dérapage dont le pays ne peut pas se permettre. Il y a possibilité aujourd’hui pour un grand front ou consensus anti-duvaliériste et anti-fasciste qui pourrait se constituer autour d’un gouvernement de salut national. La place de Jean-Claude Duvalier est dans la prison, pour répondre de ses crimes et des malversations de son régime.

Les récentes élections présidentielles et législatives, loin de contribuer à la solution de la crise, ont aggravé les facteurs d’inimitié et de conflit, tandis que le gouvernement en place—à cause à la fois de sa politique pré et post-séisme et de sa collusion avec les menées frauduleuses du CEP—, a perdu toute légitimité.

La demande populaire pour la régularisation des élections ne doit pas être confondue à une adhésion inconditionnelle à tel ou telle candidat(e). En fait, le peuple serait plus satisfait si les actuelles élections sont simplement annulées, replanifiées et ouvertes à tous les partis, y compris le Lavalas de Jean-Bertrand Aristide. La tenue des élections véritablement démocratiques, transparentes et ouvertes à l’observation internationale, contribuera beaucoup à la relégitimation du processus démocratique en Haïti.

La transparence et l’équité des élections aideraient aussi beaucoup à la légitimation de l’État si elles sont organisées par un gouvernement provisoire de salut national, un gouvernement non contrôlé par la corruption, ni par les forces d’occupation.

—Tontongi 21 janvier 2011

* Cf. Tontongi « En réfeuilletant l’album » in Poetica Agwe, éd. Trilingual Press, 2011.

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