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Tribune libre: La crise à la Faculté de Médecine et de Pharmacie ;

du Rectorat au Palais national

—par Marot Barriès

La trajectoire pluridirectionnelle de la crise éclatée fin avril 2009 à la Faculté de Médecine et de pharmacie laisse la funeste impression d’un déjà-vu météorologique. Les vents tournent au gré d’on ne sait quel itinéraire, et l’accalmie n’est jamais synonyme de fin de tragédie. À près d’un mois de la prise en main par l’exécutif d’un pan de la situation, on peine à tenter de déterminer l’issue de cette situation qui tient le monde universitaire, direct et indirect, en état. De l’occupation arbitraire du bâtiment de la FMP par des étudiants en colère aux sanctions excluant définitivement une dizaine des chefs de file du mouvement (suivi de 35 mises en quarantaine), on a l’impression de cheminer à l’intérieur d’un labyrinthe infernal où les acteurs apparents, sans le savoir, se laissent manipuler par des secteurs agissant dans l’ombre.

Un mouvement mal parti

On risque de perdre son latin si l’on cherche à comprendre pourquoi les étudiants contestataires de cette orgueilleuse faculté de l’Université d’État d’Haïti ont choisi le terrain de l’affrontement pour conduire leur mouvement. Parler d’affrontement n’est certes pas une exagération puisque avant même de porter leurs desideratas par-devant le Conseil exécutif de l’UEH, les étudiants étaient déjà entrés en grève, bloquant ainsi le cours des activités académiques, et par là, tout contact avec leur décanat. Peu après, ils ont décidé de radicaliser davantage le mouvement en conditionnant leur retour en salle de classe au renvoi sans coup férir du décanat et de l’un des chefs de département, le Dr Rodolphe Malebranche. Au fil des démêlés, les réclamations initialement académiques, au confluent des mouvements sociaux de tous ordres—besoin de solidarité oblige—seront transformées en une sorte d’amalgame et de cocktail indigestes assortis d’émotions, de purgation de passions et de considérations idéologiques multiformes. De malentendus en opposition, la frange radicale des meneurs ne va pas tarder à se retrancher derrière le mur de l’intolérance et de la violence en dépit des conseils salutaires de beaucoup d’aînés. Peu à peu, le mouvement s’est débarrassé de ses caractéristiques académiques pour se glisser de manière irréversible sur le terrain sociopolitique, éclipsant automatiquement médiateurs et dirigeants. Ces différentes métamorphoses vont engendrer une atmosphère de confusion conduisant à l’éclatement du mouvement.

« Le décanat de la FMP, le Conseil exécutif de l’UEH doivent partir »

Comment ? Même si le pourquoi et les autres questions concernant le départ de l’équipe de Madame Gladys Prosper ne devaient pas embarrasser ses détracteurs, ceux-ci sont confrontés à l’impasse d’un modus operandi. Aucune provision. Le décanat, élu le 24 mai 2007, détient un mandat de quatre ans. Comble d’ironie, à l’UEH, le vote étudiant en valeur absolue n’est pas le plus fort de l’électorat composé de professeurs : 55 %, étudiants : 35 % et personnel administratif : 10%. En outre, les documents et informations parvenus au Conseil exécutif (le recteur et les deux vice-recteurs) montrent que le décanat bénéficie de l’appui déclaré d’une forte majorité de professeurs, d’une majorité tacite du personnel administratif et d’une majorité silencieuse d’étudiants (dans une lettre, plus de 450 étudiants sur un total d’environ 600 réclament la reprise des cours).

Par ailleurs, contrairement à la demande exprimée par les contestataires, le Conseil exécutif n’a pas le pouvoir de congédier un décanat en plein parcours de son mandat. Ce cas de figure n’est prévu nulle part dans les « Dispositions transitoires » qui règlent jusqu’à présent le fonctionnement de l’UEH, encore moins dans les « Règlements intérieurs » de la FMP. Il est vrai que ces dernières années, les conflits entre décanats et étudiants ont conduit à des décisions de mise à l’écart de certains dirigeants de facultés, d’écoles et d’instituts ; mais, la différence est que, dans la majeure partie des cas, les mandats de ces derniers avaient longtemps expiré ; ou ils avaient été à en proie à des contestation d’ordre général. Ces cas ont été expérimentés à la Faculté d’Ethnologie à deux reprises, à la Faculté de Droit et des sciences économiques du Cap Haïtien, à l’Institut d’études et de recherche africaine, à l’École normale supérieure de l’UEH.

Quant à la situation telle qu’elle s’est présentée à la FMP, le Conseil exécutif ne pouvait que proposer le dialogue entre les parties et tenter un rapprochement à travers d’éventuels compromis. Mais le processus est verrouillé au départ, les étudiants ne tolèrent aucune proposition qui ne prévoit la mise à pieds d’office du décanat. La crise allait s’envenimant lorsque, en réaction à la position exprimée par les membres du Conseil exécutif face à la demande d’intervention des étudiants, ceux-ci choisissent de durcir davantage leur position en lançant une opération de dechoukaj contre ledit Conseil. Ce dernier est, de l’avis des protestataires, trop partisan du décanat.

Dans cette phase du combat, des démarches sont menées auprès d’un secteur du Parlement—notamment le Sénat de la République—en vue de porter des parlementaires à sévir—sans savoir comment—contre les autorités de l’université. Lors de nombreuses manifestations, des appels sont aussi lancés au président Préval ou au ministre Desrosiers, (Éducation nationale et formation professionnelle) sollicitant leur intervention dans le dossier. Ces prises publiques de position insinuent que les leaders du mouvement ignorent les règles de fonctionnement de l’UEH, et qu’ils n’ont pas pris le temps de s’informer sur la récente histoire des luttes engagées entre l’université et le pouvoir exécutif. Autrement, il faudrait davantage d’interrogations sur un tel positionnement.

Consistance et cohérence dans la démarche ?

Nous disions qu’avec un début articulé autour des problèmes fondamentaux recensés dans l’environnement immédiat, le mouvement des étudiants de l’UEH pouvait servir de détonateur visant à enclencher un large débat autour des changements chers aux différents mouvements universitaires mondiaux, notamment ceux des pays de la Caraïbe1. Tout le monde, le Conseil exécutif en premier, sait que le niveau des services offerts à l’UEH est de loin insuffisant. L’université en Haïti est une peau de chagrin. Pas de bibliothèque universitaire, ni de médiathèque, ni de cinémathèque pour la documentation et la recherche ; pas de laboratoires suffisamment équipés, pas de restaurant universitaire. Il n’y a même pas de campus pour faciliter les rencontres, les débats et une vie universitaire épanouie. Toutes les conditions sont réunies pour transformer le foyer universitaire haïtien en une poudrière.

Dans leurs interventions dans les médias, les jeunes passent en revue la problématique du fonctionnement académique et administratif de leur université. Ils réclament de meilleures conditions de travail, des professeurs plus qualifiés, plus compétents et plus disponibles. Ces revendications sont « justes » avait reconnu, au local même de la FMP le 20 juillet 2009, le recteur Jean Vernet Henry reconnaissant que les mêmes desiderata valent aussi pour l’ensemble des entités de l’UEH. Des étudiants exprimant une rare détermination de voir changé cet état de choses réclamaient, les uns, le départ sans condition du décanat, les autres, la reprise immédiate des cours. Mais en dehors de cette façade revendicative teintée de justesse, il y a un ensemble de faiblesses qu’il convient de signaler.

D’abord, un mouvement étudiant digne de ce nom s’articule autour des besoins et des faiblesses structurelles et organisationnelles de l’institution. Il prend en compte l’ensemble des secteurs et des acteurs. Il n’est pas l’apanage d’un groupe de radicaux prêts à tout chambarder pour obtenir à force de pression, de menaces et de violence, gain de cause au détriment du reste de la communauté. En guise des approches digressives entendues dans la presse : salaire minimum, départ de la Minustah, contestation de la médiation de Bill Clinton, renvoi de décanat et de Conseil exécutif, les grévistes pouvaient profiter de ce mouvement pour intégrer des demandes pertinentes de changements dans les conditions de leur formation : auditoriums et salles de conférence adaptés, sport, loisir, assistance dans la préparation des mémoires de sortie, bourses d’études pour les meilleur(e)s des promotions sortantes, bureau de placement pour garantir un emploi aux jeunes professionnels, service social pour les finissants de toutes les facultés, etc. De telles requêtes, si elles sont prises en compte, aideraient l’université en particulier, le pays en général, à prendre son élan vers le développement global et durable.

Ensuite, la formulation des besoins et des exigences est équivoque et la demande d’intervention de l’exécutif ou du législatif dans les affaires internes de l’UEH enfreint le principe d’autonomie de l’institution universitaire. Au début du mouvement, on réclamait le renvoi d’un seul membre du décanat. Le seul grief particulier alors exprimé contre la doyenne, Madame Gladys Prosper, était son absence, pendant un certain temps, de son poste. Personne ne sait à quel moment de la durée ni pourquoi sa tête à l’instar de celle de ses collègues, a été réclamée. En second lieu, le principe d’autonomie est foulé aux pieds par les protestataires qui, voulant avoir gain de cause à tout prix, en appellent à l’intervention du Ministre de l’éducation nationale, au Premier ministre et du président de la république pour procéder au renvoi des Conseil exécutif et décanal.

Pour une fois depuis 1986, on a un mouvement d’étudiants qui s’attaquent au fondement du principe d’autonomie universitaire si farouchement défendu, particulièrement par la gent étudiante elle-même. En effet, la dernière grande bataille de l’UEH, engageant l’ensemble des secteurs de la communauté universitaire encadrés par la société civile et ses composantes, s’inscrit encore à l’encre forte dans la pensée de chaque haïtien patriote. À un tel combat, le professeur Fritz Deshommes a consacré un ouvrage de près de 300 pages2, et le cinéaste haïtien Arnold Anthonin un grand métrage « GNB contre Attila » qui font date dans l’histoire des mouvements d’étudiants. Aussi, les observateurs avisés tendent-ils à associer le mouvement de grève de ces derniers mois à l’action des membres de la Commission inter-faculté (CIF), pro-gouvernementale, dont la prise d’assaut du local du rectorat de l’UEH au matin du 24 mai 2002 suivie de grève de la faim, avait servi de prétexte au pouvoir d’alors pour procéder à la mise à pieds du Conseil exécutif en 2002 et installer un Conseil intérimaire de trois membres nommés par l’exécutif.

Le marketing du mouvement : une approche controversée

Dans la presse, il y a deux types de présentation de l’action des grévistes. Une première façon de voir porte à clouer au pilori les acteurs du mouvement dont les méthodes de protestation rappellent celles des chimères de l’« Opération Bagdad ». Casses de voitures, attaques contre des journalistes, jets de pierre, invectives grossières ponctuent les manifestations. Certaines opinions font croire que ce modèle brutal et violent ne cadre pas avec un mouvement d’étudiants perçus comme des modèles pour la société. En guise de justification, les acteurs se réfèrent à des comportements parfois similaires de groupes évoluant sur la scène internationale. Des voix osent évoquer le souvenir nostalgique de mai 68 à Paris pour tenter un rapprochement avec la grève des contestataires de la FMP. L’opinion publique établit de profondes différences—autre que culturelles—entre ces formes de luttes communes de restructuration interne d’ailleurs et celles d’ici exposées par un groupe isolé sur des tableaux opaques. Les casses de voiture aux alentours de certaines facultés ces derniers jours tout comme l’incendie d’autres véhicules dans les mêmes endroits auparavant ne font pas honneur aux lutteurs et ternissent davantage l’image de leur institution. En clair, aucun mouvement ne se conçoit en dehors de l’environnement socioculturel qui lui donne son sens. C’est pourquoi, la condamnation—non du mouvement, mais du comportement de ses meneurs—a été sans appel.

La deuxième approche, aussi la plus répandue, est celle qui appuie sans réserve le mouvement. Pour les commentateurs de cette catégorie, les étudiants sont des fils du peuple, ils réclament le retour d’un ensemble de cours importants non disponibles, ils sont dans leurs droits, donc ils ont raison. Raisonnement visiblement simpliste, facile, et digeste ; ce qui explique sa popularité. Mais aussi, le raisonnement n’est ni faux ni dénué de sens. Personne ne peut être contre des secteurs de n’importe quelle institution revendiquant des droits. Les employés révoqués de la fonction publique marchent souvent pour réclamer soit leur réintégration, soit le dédommagement. Quand ils le font pacifiquement, la police se doit de les accompagner pour garantir la protection et la sécurité de chaque manifestant.

Les droits sont des piliers de tout système démocratique et républicain. Par-delà l’application de ces droits, il faut comprendre qu’on cherche la juste mesure dans l’expression des besoins. Une manifestation publique n’est ni une vendetta, ni une déclaration de guerre à la société. On est en colère, oui, mais cela n’autorise personne à mettre les lois institutionnelles et publiques en veilleuse.

Lorsque pour réprimer les dérives, l’intervention de la police devient nécessaire, cela rentre aussi dans le cadre du fonctionnement du corps social. Il appartient à chaque citoyen de protéger l’intégrité de son espace vital. Quand un groupe décide, par la force, de faire main basse sur une possession indivise, il est normal et juste que les autres membres dont les intérêts sont lésés cherchent à récupérer ce qui leur revient de droit. La décision d’autoriser les responsables d’une institution d’enseignement à réclamer, en cas de besoin, l’intervention des forces de l’ordre à l’intérieur de l’établissement, est l’unique porte de sortie en cas d’épreuve de force du type de l’action posée par les étudiants-grévistes. Autrement, n’importe quelle faction de n’importe quel groupe, muni d’un pouvoir quelconque ou par la force des armes, pouvait empêcher le fonctionnement de n’importe quelle institution n’importe quand. À cela la persistance des grévistes à vouloir occuper indéfiniment les locaux de la FMP était le défi lancé aux dirigeants de la FMP qui ne pouvaient rester indifférents alors que le temps pressait avec l’approche de la période des concours d’admission. En conclusion, l’action du décanat d’utiliser les moyens forts pour libérer les locaux de la FMP était un impératif du moment lié à leur devoir de responsabilité.

La crise à la FMP est institutionnelle. Le fait par les acteurs d’y intégrer des éléments sociopolitiques voire carrément politiques, est un cas de débordement qui tend à rendre plus lent et plus complexe son dénouement. Comment le Conseil exécutif peut-il être impliqué dans la solution du problème de salaire minimum ou de départ de la Minustah, par exemple ? Il se pose ici un problème de méthode, de stratégie et de cohérence dont devaient prendre en compte les chefs de file du mouvement. Les erreurs ne concourent jamais à la solution d’un problème, et les étudiants ne sauraient désirer enfermer leur mouvement dans une impasse !

La situation sous trois dimensions

Il y a une dimension dramatique, polémique et symbolique dans cette situation qui semble quelque peu échapper à l’attention des analystes et des décideurs. Dans le niveau dramatique, on regroupe le mode d’intervention des acteurs sur la scène de l’événement. La prise d’assaut du local pour bloquer le fonctionnement des activités, l’intervention disproportionnée des agents de l’ordre dans un premier temps aux alentours de l’espace occupé, dans un second temps dans les rues pour disperser les manifestations empreintes de violence et dans un troisième temps, pour déloger les occupants. À cela, on ajoute les combats de rue, les arrestations, la défense des avocats dont ceux de l’UEH, les démêlés entre étudiants et dirigeants, les commentaires de la presse, le suspens du temps qui s’écoule, l’approche de la période buttoir de reprise des activités, les expulsions, etc. On retrace aisément les expressions passionnelles dans le cours des actions. Les protestataires se positionnent en maîtres dans un espace dont ils ne sont que des colocataires. Certaines formes d’agression sont visiblement l’expression de frustrations et de défoulement individuel. Pourquoi s’attaquer à la propriété privée de gens n’ayant rien à voir avec ce face-à-face ?

Le côté polémique met aux prises le positionnement des acteurs. La détermination des grévistes face aux obstacles, notamment la force publique et le Conseil exécutif ; la course aux médias d’information. À ce point, la lutte est caractérisée par l’incivisme : agressions verbales et physiques, violence contre des camarades n’approuvant pas le mouvement, les journalistes, les passants, manipulation, mensonge, etc. Un fort degré d’insubordination est aussi à mettre à l’actif de ce volet : jurons et propos déplacés contre enseignants, membres du décanat, du rectorat, etc. Il importe donc de poser le problème dans son aspect total global. Il est difficile de concevoir que des étudiants—quelques-uns en première année—puissent se porter contre tout un appareil administrativement et légitimement constitué sans questionner les fondements de l’organisation sociale, matrice des mentalités.

Dans ce volet, il faut tenir compte de ce que l’on pourrait appeler le talon d’Achille de l’Université. Les points de vue, même au niveau de la hiérarchie, reflètent trop souvent des positions de chapelle. Tous les décanats, tous les professeurs ne partagent pas l’idée d’une vision et d’une gestion institutionnelle de la situation. Certains enseignants semblent cautionner les actions des étudiants quelle que soit leur nature. La majeure partie des interventions faites dans la presse va dans ce sens. Il y a bien une tendance à la socialisation de l’académique. Le vrai débat est donc occulté au profit de la sensibilité idéologique des évaluateurs. Ainsi, de jour en jour, les forces en présence ne peuvent que durcir leur position tout en sachant que la raison est de leur côté respectif.

La dimension symbolique est à la fois dynamique et dialectique. L’irrespect, l’incivisme et l’insubordination des jeunes sont symptomatiques d’une époque. Celle de la remise en question des valeurs séculaires, celle de l’absence de modèles pour les benjamins. L’âge n’inspire plus autorité puisque « gran moun yo echwe ». Au fond, moins qu’un simple slogan à la mode, c’est là une accusation. Mieux, une rupture entre générations. Les jeunes, témoins victimes des turpitudes sans avenir des aînés, ne semblent pas décidés de leur pardonner la débâcle nationale. Face à la peur au quotidien et l’incertitude du lendemain, ils déraillent. Leur attitude est celle de groupes affolés. Le statut ne vaut pas grand-chose. Le métier, du cireur de chaussures au médecin, ne mène nulle part (si ce n’est au Canada ou ailleurs). Pas ou plus de modèle. L’autorité est honnie. Il n’y a pas d’autre explication devant la décision d’un étudiant finissant en médecine qui se lance dans un combat de type kamikaze, hypothéquant ainsi son diplôme, son avenir. L’explication fondamentale du problème est, parait-il, dans le symbolisme de l’action et des actes. Si les aînés échouent, les jeunes, eux, désespèrent et s’affolent.

Y a-t-il crise à l’UEH ?

Dans la mesure où l’on accepte que quelqu’un souffrant de la paralysie d’un muscle est une personne paralysée, on peut conclure que l’UEH, à cause de la crise à la FMP, est en crise. Crise est le mot fétiche des journalistes, mais souvent c’est un terme hyperbolique. L’UEH, à travers la majorité des 11 entités qui la composent, plus les six autres entités affiliées des provinces, fonctionne. Ceci ne signifie nullement qu’il n’y a que la FMP où il y a des problèmes à résoudre. À la mi-septembre, un groupe d’étudiants mécontents a tenté de bloquer le fonctionnement de la Faculté d’Ethnologie. Ceci ne peut que servir de piste à l’attention des dirigeants qui doivent regarder de plus prés la réalité en évaluant les besoins et chercher les réponses appropriées. Les responsables des facultés et du rectorat ne peuvent pas se permettre de passer le temps de leur mandat à jouer aux pompiers. Leur intérêt est de trouver un moyen de se colleter aux problèmes, même s’ils doivent procéder graduellement.

À cela, il faut aussi comprendre que le comportement de nombreux étudiants ne contribue pas à la solution des problèmes auxquels l’UEH est confrontée. Sous prétexte de réclamer le changement ou la réforme universitaire, on sabote les plans d’action des responsables. Les troubles au quotidien ne peuvent que déstabiliser l’équipe en place, lui privant du temps et de la tranquillité d’esprit nécessaires à un travail sérieux. Pour montrer qu’ils agissent en connaissance de cause, la plupart du temps, certains groupes décident d’organiser leur mouvement de panique au rectorat au moment des discussions avec les partenaires étrangers. Par ailleurs, les incessants mouvements de trouble enregistrés à l’UEH ternissent l’image de l’institution auprès des secteurs tant nationaux qu’étrangers.

Un problème de communication

La principale crise à l’UEH est celle de la communication. Une seule partie, en l’occurrence les grévistes et leurs partisans, occupe presque tout l’espace public. Les commentateurs de presse se livrent à des élucubrations de toutes sortes. Certains, relayant le cri des grévistes, accusent et condamnent le pouvoir exécutif et le Parlement, à cause de leur silence. L’imbroglio est alimenté particulièrement par la prise de positions contradictoires de certains membres du Conseil de l’Université. Si la discipline institutionnelle n’arrive pas à s’imposer, en guise de remède à cet état de fait nocif, certains chapitres importants des « Dispositions transitoires » et des règlements intérieurs de la FMP devraient être distribués aux salles des nouvelles des stations de radio et de télévision du pays. De même, certains événements devaient être suivis de conférences de presse, d’avis, ou de communiqué de presse. En outre, les acteurs intermédiaires, notamment le corps professoral de la FMP, devaient s’impliquer davantage dans le débat. Tout ceci, contribuant à affaiblir la position du Conseil exécutif et à retarder le processus du retour à la normale, a servi de prétexte au président Préval de tenter une médiation dans la crise.

La carte de la dernière chance

Au point où l’on en est, il n’y a plus d’autre espoir d’aboutir à un dénouement du conflit que la carte de René Préval. En sa qualité de président de la république, la constitution de 1987 autorise ce dernier à intervenir n’importe où pour « garantir le bon fonctionnement d’une institution ». Ce qui cloche dans ce cas de figure est moins une question de légalité (constitutionnelle) que de légitimité de l’acte. De par ce qu’elle représente, l’université devait se constituer en haut lieu de résolution des problèmes de toutes sortes auxquels la société est confrontée. Comme le soutiennent de nombreux universitaires, l’UEH a raté encore une fois une bonne occasion pour montrer au pays ce dont elle est capable en matière de résolution de conflits. Beaucoup estiment que les dirigeants sont allés trop vite en besogne insistant qu’il fallait, en guise d’intervention musclée, mettre plus de temps pour expérimenter la voie de la concertation et du dialogue entre les parties. Le recours à des formules inopérantes de part et d’autre a retardé le cheminement vers la sortie de crise, fournissant l’occasion à un exécutif déjà décrié, de tenter de faire peau neuve aux dépens de la crise.

Pour aboutir à cet exploit, deux principaux obstacles restent à franchir : faire fléchir les étudiants contestataires, c’est-à-dire, les faire accepter le décanat qu’ils contestent et faire reculer ce même décanat sur les sanctions prises à l’encontre de près d’une cinquantaine de grévistes. On ignore la base sur laquelle les sept membres du « Comité de facilitation » ont été désignés par l’exécutif. On sait cependant qu’ils sont tous des citoyens réputés honnêtes, sérieux, et surtout sensibles à la question du bon fonctionnement de l’UEH. Ceci n’est pas une garantie de la réussite de leur action. Il faudrait faire montre de la capacité à rééduquer, c’est-à-dire à porter quelques-uns à avoir une autre approche des rapports entre groupes d’une même institution. Et ceci n’est possible qu’à plus ou moins moyen terme.

Les stratégies comme les tactiques à mettre en branle pour sortir du bourbier ne fonctionneront pas comme des recettes. Pourtant le temps presse. Les dix autres facultés de l’UEH ont déjà bouclé la période déterminante du concours d’admission. La Faculté d’Agronomie et de médecine vétérinaire a déjà démarré l’année académique 2009–2010. Dans les situations normales, ces deux entités (FMP/FAMV) se disputent la première place de la réouverture. Le sort des étudiants en médecine de l’année universitaire qui vient de s’écouler n’est pas encore déterminé. Pour eux, le temps s’est arrêté en avril 2009. Trouver la clef de la « machine à voyager dans le temps », propulser l’équipage dans l’actualité du moment, voilà une mission titanesque dont se propose de s’acquitter le « Comité de facilitation » à quelques jours de la fin du mois d’octobre, définitif pour un lever final de rideau.

Le délai d’un mois accordé aux « Facilitateurs » pour réussir là où les autres acteurs avaient échoué pendant quatre mois, sera-t-il respecté ? On sait pour le moins qu’il s’agit de la dernière carte jouable, donc, l’ultime chance à saisir. Pour le moins, on sait que les séquelles de ce drame, ses conséquences dureront encore longtemps. Des leçons ont été sans doute apprises et serviront à l’avenir à aider l’institution universitaire à mieux aborder les situations difficiles. Et surtout, il faut nourrir l’espoir que dans peu de temps encore ce conflit ne sera dans l’esprit de tout un chacun qu’un simple souvenir cauchemardesque. Elle aura sa raison d’être pourvu que l’UEH en sorte grandie !

—Marot Barriès

Notes

1.Castor Suzy, Étudiants et Luttes Sociales Dans la Caraïbe, CRESFED.
2.Deshommes, Fritz Université et Luttes Démocratiques en Haïti, Imprimeur II, P-au-P. 2002.

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