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La Constitution de 1987 : bouc émissaire

(Pour Syl et son encourageant réconfort)

“Pour le drapeau” par Fontenelle Pointjour, Cambridge, MA.

« Personne ne veut vivre dans une société où la règle de
droit cède la place à la loi du plus fort et à la corruption.
Ce n’est pas de la démocratie, c’est de la tyrannie, même si
de temps en temps on y sème une élection çà et là, et il
est temps que ce style de gouvernement disparaisse. »
Barak Obama

Le Larousse du XXè siècle définit ainsi bouc émissaire :

Chez les Juifs, à la fête des Expiations, on amenait au grand prêtre, un bouc sur la tête duquel il étendait les mains, et qu’il chargeait, avec des imprécations, de toutes les iniquités d’Israël. Ce bouc était ensuite conduit sur les confins du désert, et chassé au milieu des cris de tout le peuple. L’expression bouc émissaire est devenue proverbiale pour désigner une personne sur laquelle on fait retomber toutes les fautes, à laquelle on impute tous les torts, et qu’on accuse de tous les malheurs qui arrivent.

On n’a pas besoin d’être grand clerc pour conclure que c’est le sort fait à la Constitution de 1987.

En effet, le président Préval, et à sa suite ses acolytes, a déclaré à maintes reprises que cette constitution était responsable de l’instabilité politique qui débouche sur la crise économique en empêchant les investissements étrangers, une instabilité qui est un obstacle à la construction du pays et plus particulièrement l’article 134-3 qui stipule : « Le président de la République ne peut bénéficier de prolongation de mandat, il ne peut assumer un nouveau mandat qu’après un intervalle de cinq (5) ans. En aucun cas, il ne peut briguer un troisième mandat. » Une constitution responsable du néolibéralisme qui enrichit les riches et appauvrit encore plus les pauvres, qui enrichit les dirigeants au détriment des masses. Une constitution responsable du déboisement, de la destruction de l’écologie. Une constitution responsable de la pollution des rues, des rivières et de la mer. Une constitution responsable du trafic des drogues. Une constitution responsable de la corruption généralisée.

On en croit pas ses oreilles, ou ses yeux. Voilà un citoyen, qui sort d’une complète obscurité en 1990, pour occuper pendant près de vingt ans (1991–2009), à l’exception peut-être de la période d’exil doré (1992–94), une place prépondérante sur la scène politique, comme Premier ministre, Président de la République deux fois, grand manitou durant la présidence d’Aristide, qui se plaint d’une instabilité le condamnant à ne rien foutre. Mais comme dit le dicton : plus le diable en a, plus il veut en avoir. Il faut donc amender cet article gênant. D’où ce que nous appelons le piège des amendements constitutionnels.

Le piège des amendements constitutionnels

L’article 134-3 a été introduit comme un rempart contre la présidence à vie, contre la volonté d’un président de se faire réélire à l’expiration de son premier mandat (possibilité de dix ans de pouvoir) et de faire élire son successeur (possibilité de dix autres années). Un cycle infernal capable de garantir vingt ans de pouvoir, par personne interposée. Un cycle où se profile le spectre de la présidence à vie des Duvalier. Le président sait qu’un tel amendement tentera des candidats assoiffés de pouvoir, des partisans fanatiques et des juristes complaisants. Il choisira donc méticuleusement les membres d’une commission à laquelle il laissera le soin de recommander d’autres amendements concernant la double nationalité, la perte de la nationalité haïtienne etc. que souhaitent les Haïtiens. Ainsi la pilule sera-t-elle dorée pour être avalée sans grande difficulté. Beaucoup, pour des raisons diverses, semblent être tombés dans le panneau, dans ce piège astucieusement préparé. Nous faisons confiance aux patriotes, aux masses haïtiennes qui verront clair et s y’opposeront.

Nous avons durant de longues années appuyé la lutte des Malcolm X, Martin Luther King Jr, Langston Hughes, et d’autres défenseurs, moins connus, des droits civils et économiques des masses noires ; nous avons voté Obama. Malgré nos réserves quant à sa politique extérieure de maintien inconditionnel de l’empire américain, nous sommes d’accord avec certaines de ses prises de position dans son discours au Ghana. Comme nous l’avons proclamé dans notre article « Démanteler la corruption et construire Haïti par nous-mêmes » (Haïti Liberté 2–8 décembre 2008 ; AlterPresse 9 décembre 2008 ; La Fondation Summer/Fall 2009) et d’autres écrits qui précèdent son discours, nous pensons aussi qu’ :

Il ne s’agit pas seulement d’organiser des élections – il faut voir entre les scrutins. La répression revêt de nombreuses formes et trop de pays, même ceux qui tiennent des élections, sont en proie à des problèmes qui condamnent le peuple à la pauvreté. Aucun pays ne peut créer de richesse si ses dirigeants exploitent l’économie pour s’enrichir personnellement, ou si des policiers peuvent être achetés par des trafiquants de drogues… nous avons vu de multiples exemples de gens qui prennent leur destinée en main et qui opèrent des changements à partir de la base… l’histoire est du côté de ces courageux Africains et non dans le camp de ceux qui se servent de coups d’Etat ou qui modifient les constitutions pour rester au pouvoir. L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions.

Conclusion

On se demande perplexe quelle est la réelle politique du président Obama face à la conjoncture haïtienne qui n’est guère différente de celle décrite dans la citation précédente. Il affirme que

« l’Amérique ne cherchera pas à imposer un système quelconque de gouvernement à aucune autre nation. La vérité essentielle de la démocratie est que chaque nation détermine elle-même son destin ». Que voyons-nous ? Le gouvernement américain donne son agrément au choix de l’ONU qui désigne l’ex-président Clinton comme émissaire spécial pour le dénouement de la crise haïtienne. Un Clinton qui se pose en maître et seigneur. Un Clinton qui avait exigé pour le retour d’Aristide en Haïti en 1994, la privatisation des plus grandes entreprises publiques de l’Etat haïtien. Sans compter que le jour n’a jamais pu se faire sur les concessions accordées par la suite à Hillary Clinton et aux Kennedy pour une agence de télécommunications en Haïti. La faute en est à la Constitution de 1987. Que faut-il donc en faire ? L’amender ou écrire une autre constitution ? Les amendements semblent la voie la plus facile. Nous nous limiterons à l’analyse de l’amendement de l’article 134-3 proposé par la Commission constitutionnelle qui se lit comme suit (page 44) :

Observation : Nous avons pensé que le Président en soumettant son bilan pour briguer un second mandat, dans la foulée, offrirait le plus de garanties de s’approcher d’une obligation de résultat. Proposition de reformulation. Le Président de la République ne peut bénéficier de prolongation de mandat. Il peut cependant être réélu pour un second mandat. En aucun cas, il ne peut briguer un troisième. Aucun président ayant été élu deux fois ne peut briguer un troisième mandat.

Le rédacteur du rapport, malgré sa compétence juridique et son habileté politique, n’arrive pas à trouver un langage clair et précis pour légitimer cet amendement. Il utilise donc des euphémismes comme « observation » pour justification, « proposition de reformulation » pour amendement. Au lieu de dire tout franchement que le Président à l’expiration de son premier mandat peut immédiatement briguer un second mandat, on recourt à un langage sibyllin et emphatique « le Président en soumettant son bilan pour briguer un second mandat, dans la foulée (?) offrirait le plus de garanties de s’approcher d’une obligation de résultat ». Le Président ne doit-il pas s’approcher à pas feutrés ? Le clou de la proposition de reformation est qu’il suffit de supprimer l’intervalle de cinq ans prévu dans l’article 134-3 pour rétablir la stabilité politique. Cet intervalle de cinq ans n’a pas empêché « la présidence-chaises musicales » qui a permis aux marasa de monopoliser le pouvoir pendant vingt ans. Mais son omission facilitera la répétition d’une telle présidence avec ses conséquences néfastes.

Nous espérons que le peuple haïtien, convaincu du mobile d’un tel amendement, s’y opposera de toutes ses forces et obligera les dirigeants à y renoncer.

—Franck Laraque Professeur émérite, City College, New York

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