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Haïti: entre le déjà vu et la folie

—par Frantz Balthazar

Oublions que l’on vient de commémorer le bicentenaire d’une indépendance gagnée au prix du sang. Le prix du sang: les pauvres, les illettrés, bref, ceux qui forment le prolétariat (qui a assassiné Marx?) connaissent déjà trop bien le chemin qui mène de leurs cahutes au cimetière—s’ils ont la chance d’enterrer leurs morts. Rosalvo Bobo respire encore, pour le meilleur et pour le pire.

On y croyait après 1986. Moi, je croyais qu’en 1991 que notre pays allait faire le «grand tournant». Vœu pieux. Mais l’espoir fait vivre.

Récapitulons. 1986. On met fin à une dictature. Un régime totalitaire dirigé par Jean-Claude Duvalier qui n’appréciait du pays que les femmes et l’argent du peuple qu’il VIOLAIT. Passons. C’est de l’histoire ancienne après plusieurs centaines de morts (faut bien les morts pour faire l’histoire). Namphy. Manigat. Namphy II. Avril (et les «petits soldats»). Mme Trouillot. Puis, élections. Puis, Roger Lafontant pour une heure (il s’était proclamé président, hein?). (Entre-temps, Haïti reste Haïti avec toutes se tares, son cancer de sous-développement tiers-mondiste [redondance, mais…], son système politique désuet ancré dans un paternalisme-messianique [Mme Montas, on assassiné Jean-Dominique une seconde fois], une économie de survivance basée sur la misère la plus inhumaine…)

Puis… Puis… Vient l’ex-général-retraité-Hérard-Abraham.

Non, non, ne dérivons pas. On le fait déjà assez maintenant. Et le pays avec.

Retournons à nos moutons morts.

1986. Commençons par là.

Jean-Claude Duvalier—qui de sa vie ne s’occupait que de cuisine et de voitures (la technologie lui était étrangère si elle ne marchait pas sur roues)—se fit botter le cul (si j’écoutais ma mère, j’aurais écrit «arrière-train», comme si cela allait changer les choses) par le président américain Ronald Reagan qui ne voulait pas que son pays soit envahi par ces nègres maigrelets et souffreteux qui viendraient troubler le repos de ces braves gens retraités de la Floride. Quand l’Amérique tousse… (Néocolonialisme, on s’évertue à dire). M Jean-Claude Duvalier qui avait trop bu et trop bien mangé, de sa vie, n’a essayé de lire qu’un bouquin écrit par son père: «Les Oeuvres essentielles»; écritures obscures. Il a laissé tombé après avoir lu la table des matières, au grand chagrin de Gérard de Catalogne qui lui, ne croyait pas à ce qu’il écrivait dans ses apologies du régime.

Départ du président-à-vie-baby-Doc-Jean-Claude-Duvalier. Junte militaire (Déjà vu!) On l’a appelée CNG (Conseil national de gouvernement), composée en majorité de ceux qui se sont livrés à des crimes contre l’humanité sous la «dynastie» Duvalier, et dont le cher général Henri Namphy en fut le CHEF (Chef, qu’on aime ce mot!). Et l’on a célébré. On a SURTOUT bu. Nom de Dieu! faut que l’on boive dans ces circonstances qui frisent le divin. (Vous avez vu les photos des «rebelles» [donc Haïtiens] qui s’envoient de la bière et bouffent le riz, le «griot» et autres trucs graisseux que la science moderne condamne? Pardon madame, les crises cardiaques…)

Non, non, ne dérivons pas.

Junte militaire… Henri Namphy, le cher «Chouchou»… À lire les journaux haïtiens de l’époque, on le croyait être le messie. Et puis… massacres aux élections de mars 1987. Non mais, pas Chouchou quand même! Les dieux doivent être contre nous! Faut organiser une grande cérémonie vodou au Bois Caïman (une fois de plus) pour leur demander de nous protéger contre nous-mêmes.

Élections truquées (Quoi de nouveau. Du déjà vu dans un pays où la faim pousse les gens à la politique, où l’on est né pour être président un jour. Huit millions pour un fauteuil, hein?). M. Leslie François Manigat devient président-prisonnier à la suite de ces élections. Et puis… tiens, on le renverse. RENVERSER? Non. Les militaires reprennent le pouvoir. POUVOIR. Un mot qui fait croire à l’Haïtien vivant en Haïti qu’il est immortel, là où la moyenne de vie est de 59 ans. Et MONSIEUR LE GÉNÉRAL qui ne parle aucune langue humaine (qu’on nous donne un de ses discours pour lire, s’il-vous-plaît) se déclare «PRÉSIDENT-À-LA-MITRAILLEUSE-POUR-DE-PROCHAINES-ÉLÉCTIONS-CONTROLLÉES».

Et ceux qui sont morts aux élections truquées de 1987? Un nom, madame Bovary, juste un nom… Non? Bon, oublions les morts… faut crever… c’est faits divers dans ce coin de paradis… puis l’eau passe sous les ponts (En Haïti, l’eau passe SUR les ponts).

Oh… n’oublions pas les «Petits Soldats» (les pauvres). Mais ne dérivons pas.

M Leslie Manigat (qui ne connaît rien de la diète dans un pays où le pain est mensuel, et qui était encore plus lourd [de corps] que son collègue J-C D.) a eu le triste sort que l’on PRÉVOYAIT avec l’armée.

Puis vint… vint… Qui?

Oh oui… M. LE GÉNÉRAL NAMPHY (majuscules obligent).

Entre-temps… entre-temps, dis-je, un autre (si je me laissais aller à la vulgarité, j’aurais écrit «mec») «ancien» général veillait, attendant son tour d’être président. Nouveau coup d’État. C’était, je ne sais plus quel mois, mais son nom, on le sait: AVRIL. (Poison d’Avril. Jean-Claude Paul en sait quelque chose). Et commence l’ère de la SCATOLOGIE dans la politique haïtienne. (Nous sommes foutrement inventifs, géniaux, mais si au moins nous avions Bill Gates chez nous… scatologie OU technologie… hein? Au moins on laisserait tranquille cette chaise présidentielle qui cause tant de torts et de morts). Cependant, il paraît que c’était le plan du génial-général-président pour nettoyer les fosses d’aisances, vu que les employés de la mairie préposés à cette tâche étaient en grève (grève est euphémisme pour chômage en Haïti. Dans un pays où le taux de chômage est de 85%, on fait souvent une «grève générale» contre un tel. Et le pire, c’est qu’on lit ça dans les journaux. Un conseil: si vous entendez un politicien dire qu’il faut faire une «grève générale», demandez-lui: et les chômeurs?). Il a voulu faire d’une pierre (ha, ha, ha) plusieurs coups. Et ensuite, voulant marquer notre histoire à tout jamais, il nomma M. HEUBREU, un pauvre soldat ambitieux comme lui, sergeant-major-général-en-chef. Certains «Petits soldats» étaient aux anges: «Aujourd’hui Heubreu, demain, nous». Mais d’autres ne voulaient pas attendre leur tour. On n’a pas le temps d’attendre pour être président dans un pays où la moyenne de vie est de 59 ans! Aussi, un compagnon de Heubreu forma le mouvement VENT-TEMPÊTE (Je ne vais pas trop élaboré là-dessus sinon on va m’accuser de faire de la «scatologie-littéraro-politique», parce que Avril et Vent-tempête, hein?) Mais cette tempête ne dura que l’espace d’un moment. Implosion.

Puis… Puis… (vous avez deviné!) COUP D’ÉTAT (du déjà vécu). Et Avril partit au mois de mars en direction de la Floride.

Et… (vous avez encore deviné) JUNTE MILITAIRE. Gouvernement de «salut public». Conseil de sages. Cour de Cassation. Sommes-nous en 1806, 18… 19… 1946, 1956? Que sais-je? C’est ça le déjà vu. On ne sait plus si c’était hier ou avant hier. Mais, ne dérivons pas.

Le GÉNÉRAL (majuscules obligent avec les nobles) Hérard Abraham est nommé CHEF (Ah, ce mot… ce mot…) d’un gouvernement provisoire pour organiser des élections «libres, honnêtes, transparentes, cristallines, démocratiques». Mais comme on en avait un peu marre des militaires, fallait choisir un civil pour faire sérieux (La «Communauté internationale», hein?). Et à Mme Ertha Pascal Trouillot fut confiée la tâche délicate de faire des élections…

Pardon? Et ceux qui sont morts depuis 1986? Ti moun, re t trankil non. On a bien le 1er et 2 novembre, non? Bon…

Élections! Élections! Élections! Cette fois-ci, la Maison-Blanche, l’ONU, le CARICOM, des personnalités célèbres, Dieu et le diable jurent que ce sera différent. 8 millions de candidats se présentent (qui va voter dans ce cas?). Bon, on est réduit à une centaine après. Parmi tous ceux-là, un prêtre. Un agneau à cœur de loup. «Oui, oui, c’est lui! Le prophète! Le prophète qui annonce le messie! Non, il est le messie qui annonce le prophète! Non, un messie ne peut pas annoncer un prophète! IL EST LE MESSIE! On l’aime parce qu’il ressemble au Père Lebrun! Mais bien sûr qu’il ressemble a l’autre père, grand idiot, on l’appelle bien père lui aussi, non? Tel père, tel père!» Ainsi allaient les conversations. Et à ce pauvre de dire, dans un moment d’extase spirituelle: «Dieu, merci de nous avoir envoyé le père ARISTIDE qui va nous donner un lavalas quotidien. Tant pis si ça emporte tout, mais au moins, on aura du cabri boucané, du pain, et SURTOUT, SURTOUT, Seigneur, du clairin et du rhum.»

(Dieu! Que diable foutais-tu avant la CRÉATION?)

1991. Liesse. Grenades. Bombes. Morts.

Se souviens-t-on de ceux qui sont morts en 1991 au cours de cette campagne électorale? Non madame Bovary, mais quand même, heu… peut pas se souvenir de tous les faits divers, nous. On parle d’élections, quand même, Ça vaut bien des funérailles.

Et puis… M. Jean-Bertrand Aristide est élu président de la République par une large majorité (République? je parle d’Haïti bien sûr… on se cherche comme pays mais on va s’y retrouver). En fait, c’était vrai et c’est toujours vrai. C’était nouveau et c’était beau.

On organise des bals partout. On danse. On BOIT. On BOIT.

MAIS… MAIS…

COUP D’ÉTAT

Un ancien ministre, ancien chef de la «police politique» des Duvalier s’empare du pouvoir. ROGER LAFONTANT. (Même Edgar Allan Poe n’aurait pu écrire un scénario aussi cauchemardeux)

Du déjà vu. Du déjà vécu.

M. Roger Lafontant fut président de la première république noire indépendante du monde pour 30 minutes.

Je vous épargne les dessous de l’affaire et les détails.

Il suffit de dire qu’il mourut en prison, assassiné par ces militaires-duvaliéristes qu’il avait humilié toute sa vie en tant que TONTON-MACOUTE.

Février 1992. ENFIN! ENFIN! Après près de 200 ans de cannibalisme, on a un président, élu démocratiquement, qui va diriger le pays démocratiquement «la vérité, en vérité».

Démocratie oblige. Faut bien une opposition, non?

Mais, pour le prêtre, faut pas partager le pain du pouvoir et aussi pour certains autres qui avaient d’autres ambitions. Politique de doublure. Mais cette fois-ci, on connaît l’affaire. Je te tiens, tu me tiens par la barbichette.

Et, L’ARMÉE n’attendait que son heure. Ah, nos beaux généraux, capitaines, lieutenant: heubreuïques (en souvenir de HEUBREU) et héroïques (Ils ont voulu faire la guerre à la République Dominicaine après le massacre des Haïtiens au cours de l’opération «PEREJIL». Non? Ok. Quand t’as raison, t’as raison, ma sœur).

Et… Mince!

COUP D’ÉTAT

Père Jean-Bertrand Lebrun Aristide prend le chemin de l’exil. Et nos militaires sèment la terreur. On tue, on pille, on viole. Et… oui… embargo… Donc, on crève aussi de faim.

Du déjà vu. Du déjà vécu.

Mais, notre «grand voisin» qui a à notre endroit les plus nobles intentions, veillait. Bien sûr, Oncle Sam n’a pas remis M. Aristide sur la chaise présidentielle à cause de ces nègres maigrelets et souffreteux qui envahissaient la Floride, troublant ainsi le repos de ces beaux retraités. Merde! On pourrait même les considérer comme des touristes s’ils avaient un peu de pognon. Non. Washington est le grand frère. C’est STRICTEMENT humanitaire.

On demande à MM Raoul Cédras et Michel François d’abandonner le POUVOIR. Mais enfin, ils sont déjà multimillionnaires ces… militaires. Mais ils s’y accrochent. Pourquoi? POUVOIR. Donc, femmes, donc orgasmes quotidiens. Comment ça, aller en exil où l’on n’aura pas de centaines de maîtresses, où l’on ne pourra plus faire ce qu’on veut? Non, mais, ça vaut bien le coup de risquer sa vie (un peu). «Mon royaume pour une femme!» (disait Napoléon, après chaque campagne).

M. Jimmy Carter et le général Collin Powell vont en Haïti pour essayer de persuader les militaires de lâcher prise sur le POUVOIR et de mettre fin aux massacres. «Massacres, quels massacres?» «Se pa mwen ki fè sa se Leyon».

Puis… Occupation militaire d’Haïti.

Du déjà vu. Du déjà vécu.

Émoi. On s’accuse de l’index. On se traite de traîtres.

Mais, ben… la démocratie est de retour. Peut pas faire d’omelettes sans casser des gueules.

On se pavane devant les tanks et on baise les «butt» (bottes) américaines. Puis, on BOIT. On BOIT. On DANSE. On DANSE. (Plusieurs salles de cinéma, en cette occasion historique [répétition de l’histoire, donc du déjà vu et du déjà vécu] projetèrent le film «RAMBO» en hommage à la puissance américaine, le «grand voisin». M Jean Bertrand Aristide baise la main de «l’impérialisme, ce péché mortel»)

Bon… faut survivre quoi. Surtout que maintenant l’on a le POUVOIR. Ça vaut plus que tous les diamants du monde, ça.

Donc… retour… trois ans à faire.

(Quand on est président d’Haïti, on passe tout son temps à la recherche de «l’aide étrangère» pour ses amis et pour soi).

Mais… une chose cloche… M. Aristide pense qu’il est plus renard que tout le monde… On fait le vide autour de lui. Qu’importe. Il y a toujours le «populo minuto», taillable et corvéable à souhait. Le clairin et le sens du POUVOIR peuvent TOUT résoudre.

Pardon, madame Bovary? M. PRÉVAL? Bon… lui… Retournons à nos moutons morts, voulez-vous? CHRONOLOGIE.

M Aristide PASSE le pouvoir à son ancien premier ministre, M René Préval (j’y arrivais justement). Le palais national n’était qu’une façade. Le POUVOIR se trouvait à Tabarre (Lisez Raoul Peck: «Monsieur le ministre jusqu’au bout de la patience». Il était ministre de la culture).

Puis, logiquement, M. Aristide reprend ce qui lui appartenait.

(Et l’opposition dans tout ça? Bon, j’y arrive, mais je vais la résumer en peu de mots.)

M Préval, comme Voltaire, alla cultiver son champ, «son petit arpent du diable». C’était paisible, son gouvernement, à part quelques assassinats anodins, la misère chronique, le Sida, le chômage ou grève permanente, et… l’insécurité. (Jean Dominique, où sont les zenglendos d’antan?)

Donc, donc… plusieurs milliers de cadavres après, on arrive à 2004.

BICENTENAIRE.

On avait promis des festivités carnavalesques qui allaient durer 5 jours et cinq nuits (Mme Lila Desquiron, vous nous avez laissé tomber). Tambours assotor qui frappent l’âme, clairin rhum des pauvres, notre ami, qui nous fait oublier. En lieu et place de cela? Nous avons les barricades enflammées, les chimères qui s’entre-tuent, les cannibales qui ne trouvent plus de la chair humaine à bouffer, un président anti-impérialiste qui demande aux USA d’intervenir en sa faveur pour qu’il garde le pouvoir, un pays en chaos, quoi.

ET L’OPPOSITION DANS TOUT ÇA?

Je vous y voyais venir…

D’abord, opposition contre QUOI ou QUI?

Aristide, comme Duvalier, n’est que le produit d’un système. On VA se débarrasser de lui, comme on s’est débarrassé de bien d’autres avant lui. Bien sûr, lui, ARISTIDE, il a raté le «grand tournant» et s’est cassé le nez contre l’Histoire, la nôtre, j’entends. Mais on aura toujours d’autres Aristides, d’autres Avrils, d’autres Namphys, tant que l’on se contentera de regarder le palais national comme l’aboutissement de tous nos rêves. (J’attends un débat là-dessus. Mais ici, je parle de symbole). Aristide a piteusement échoué comme échoueront d’autres après lui. Tant que dans ce pays qui est le nôtre subsisteront l’apartheid économique et le non-respect de l’autre.

Mais voilà que l’ex-général Hérard Abraham vient tourner le couteau dans la plaie avec sa déclaration de cette semaine. Tiens… tiens… Où sont Jean-Claude Duvalier, François Duvalier, Ti-Boulé, Ti-Bobo, Boss Pint, Cambronne… Bientôt on aura des déclarations à en-veux-tu-en-voilà. Et l’imbroglio sera encore plus «inenchevêtrable» (Néologisme oblige).

Pierre et Phillipe Thoby-Marcelin ont titré un de leurs romans: «Tous les hommes sont fous». Au fond, Ils faisaient bien allusion a nous. Mais il y a toujours la rosée, notre pays, pour nous donner de l’espoir. Qui gouvernera cette rosée? Quo Vadis Haïti?

—Frantz Balthazar E-mail: balthafrantz@aol.com

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