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De la crise permanente haïtienne

—par Tontongi

Il y a trois ans, durant une autre phase d’escalade de la crise politique haïtienne faisant suite aux élections législatives controversées de mai 2000, j’ai publié dans Haïti en marche un article où j’ai appelé à une position vigilante et critique vis à vis la lutte de pouvoir entre le Lavalas et la Convergence démocratique, invitant les forces démocratiques à travailler de préférence pour la mise sur pied d’«une nouvelle coalition entre les diverses forces vives et productrices du pays: paysans, travailleurs d’usines et du secteur service, les fonctionnaires, les membres des professions libérales, les intellectuels et créateurs artistiques, les organisations de femmes, les organisations civiques, les organisations dites «populaires», etc. en vue de travailler pour libérer et construire le pays.1

Je réitère aujourd’hui cet appel à la vigilance critique; je l’ai fait non pas pour garder une fausse objectivité déhistoricisée, mais pour avertir encore une fois les forces progressistes contre le piège d’autodestruction débilitante que leur tendent les forces hostiles à la libération du pays de la dépendance, et du peuple de l’exploitation.

L’antécédence de la crise

Trois points essentiels nous ont porté à rejeter tour à tour les principaux protagonistes de la crise, une crise superficielle s’il en fut mais dangereuse assez pour menacer l’intervention étrangère en Haïti au moment même de la commémoration du bicentenaire d’indépendance du pays, une date d’une grande importance symbolique et affective. Premièrement, le Lavalas a failli en tant que populisme basé sur le messianisme du chef-sauveur-de-la-patrie, offrant en cela, comme dit Jean Alix René, «des réponses simplistes à des problèmes complexes». En second lieu, l’opposition à Aristide demeure essentiellement une opposition hétéroclite et sectorielle, fortement influencée par à la fois la haine invétérée de la bourgeoise au lavalassisme, la soif du pouvoir par les anciens co-équipiers d’Aristide du FNCD-OPL, la nostalgie du pouvoir et le besoin de réhabilitation des duvaliéristes, et, bien entendu, l’antipathie de la droite républicaine aux États-Unis envers Aristide.

En troisième lieu, les problèmes fondamentaux d’Haïti précèdent le gouvernement d’Aristide, qui remonte seulement en 1991. La notion, insinuée par l’opposition, qu’Aristide serait la cause de tous les maux d’Haïti est bien malhonnête pour avoir passé l’éponge sur 29 ans de malversations du régime des Duvaliers, suivi d’une série de régimes militaires iniques, y compris le régime banditiste instauré par le coup d’État de septembre 1991 (qui renversa Aristide après seulement sept mois au pouvoir), qui dura trois années, puis cinq ans du gouvernement de René Préval, successeur à la première présidence d’Aristide reconstituée par les marines nord-américains, qui passa tout le temps à s’entrégorger avec son opposition parlementaire, pourtant rejetons du même parti; puis l’élection en novembre 2000 de la deuxième présidence d’Aristide qui dure encore (février 2004). Peu de temps, il est vrai, pour résoudre des problèmes qui durent deux siècles. Sans compter, les incessants boycottages de l’Union européenne et de l’administration Bush dont la droite rancunière bloque depuis bientôt trois ans le peu d’aide au développement consenti au gouvernement Aristide par la Banque inter-américaine de développement (BID), trouvant ainsi une opportunité d’éplucher symboliquement l’ancien «prêtre rouge».

D’autres vont jusqu’à rendre une sorte d’hommage posthume aux Duvaliers, les comparant favorablement à Aristide avec une certaine nostalgie. Ayant vécu sous le régime des Duvaliers durant ma prime jeunesse et les ayant combattus après mon émigration d’Haïti, je me souviens avec vividité du long cauchemar fait de répressions, de misère et de malversations qu’ils avaient initié en Haïti, maintenant tout le pays dans la terreur, la peur et la méfiance: la terreur du cagoulard, la peur du tonton-macoute, la méfiance du voisin, de l’ami et même de sa propre famille. C’était aussi une époque de grand recul économique après les années productives sous les précédents gouvernements de Dumarsais Estimé et Paul-Eugène Magloire; un énorme recul dû par une politique économique qui favorisait les tout-puissants grands dons, souvent de fervents supporteurs du régime, au dépens bien sûr de la masse des travailleurs et paysans, exploités et manipulés à merci par à la fois les grands dons, les tonton-macoutes et les revendeurs du Bord-de-mer—aidés stratégiquement par le grand voisin du nord sous le prétexte d’endiguement du communisme. Nous disons tout cela, non pas pour comparer deux maux et favoriser l’un contre l’autre, mais dans le souci de les placer dans leur contexte historique respectif et évaluer leur impact sur le long processus historique haïtien.

Ce constat ne constitue certes pas des excuses à l’inertie du gouvernement d’Aristide. Les modalités de fonctionnement (ou de dysfonctionnement) du régime, qui ne se différencient guère de celles des gouvernements prédateurs du passé, sont aussi cause et incitation de la crise. Pour avoir confondu pouvoir populaire avec la démagogie populiste, assaisonnée du népotisme, le régime a péché par la négligence et l’absence de vision. Négligence impardonnable certes, mais l’opposition, regroupée aujourd’hui sous l’appellation Plate-forme démocratique (un imbroglio qui comprend outre la Convergence démocratique, le groupement pro-business dit Société civile, des étudiants et professeurs d’Université, et les désenchantés du Lavalas en général) n’en est pas moins inacceptable dans la mesure qu’elle représente des intérêts corporatistes et sectoriels qui vont pour l’essentiel à l’encontre de ceux du peuple. De plus cette même «opposition» agirait probablement pareil à Aristide si elle avait été au pouvoir. Plutôt une question de style ou de nuances, non d’irréconciliables philosophies; bref, une lutte de pouvoir au sein d’une même classe politique.

C’est tout de même bien ironique que Jean-Bertrand Aristide, un homme dont l’émergence à la politique haïtienne a été marquée par tant de sursauts, d’inattendus et des vagues d’espoir, en soit arrivé à gérer un régime jugé inerte et corrompu. Certes, l’ennemi néo-colonialiste a été toujours aux aguets et boycottait à tout bout de champs le projet populiste lavalassien. Mais il n’a pas été le seul facteur; loin de là. La politique, au-delà des idéaux trans-historiques, aura toujours le dernier mot; le bottom-line, l’ultime détermination, aura été la contingence de la nécessité de survivre dans le manque; comment la chance, la malchance et la connexion se jouent dans la distribution des chances de survie? Ces exigences socio-existentielles auront anémié, du moins chez beaucoup partisans du régime, les épanchements originaux, la politique restant fidèle à l’attribut de poule-aux-œufs d’or qu’on l’a toujours conféré.

Pourquoi les bidonvilles de Raboteau et d’autres parts du pays prennent-ils position contre Aristide aujourd’hui? Rien vraiment d’insolite en cela si placé dans le contexte de la dynamique de groupe. Manipulée par des doigts experts, la famille la plus paisible peut s’entre-déchirer dans la violence inutile. La lutte politique d’un peuple est liée à ses conditions objectives de vivre, de sentir et de rêver. Ces rebelles de Gonaïves qui prennent les armes contre le régime étaient, il n’y a pas trop longtemps, des partisans zélés du Lavalas. L’assassinat de Amyot Métayer, chef charismatique de la section régionale du parti Lavalas dont certains rivaux seraient envieux de sa puissance politique grandissante, a allumé la mèche qui menace l’autodestruction d’une bonne partie du mouvement populaire. Bref, une évolution politique bien regrettable qui risque de mettre en confrontation les damnés de Roboteau contre ceux de la Cité Soleil. On ne sait qui a bénéficié du crime contre Métayer, mais on est sûr que ce n’est pas le peuple le bénéficiaire.

Pareillement, beaucoup des ennemis d’Aristide du moment sont d’anciens amis et collaborateurs auxquels, dit-on, il a dénié le partage du pouvoir pour des raisons qui suggèrent le souci d’en monopoliser son exercice personnel. Pour des alliés politiques qui se considèrent comme égaux à Aristide et auxquels il doit, dans une certaine mesure, son avènement à la présidence, c’était un affront d’autant plus impardonnable qu’il ne se basait sur aucune différence idéologico-philosophique notable. C’est, apparemment, un trait personnel d’Aristide, témoigné par plus d’uns, qu’il finira par s’aliéner son plus loyal collaborateur. Ainsi, il y a toute une panoplie d’anciens amis et alliés d’Aristide, désenchantés et grognards qui grossissent le rang de l’«opposition» dont le dernier en date est l’ancien major et sénateur, Dany Toussaint.

Cela dit, nous déplorons et condamnons avec véhémence les actes de violence provenus des deux côtés, qu’ils soient perpétrés par les «chimères» et les policiers anti-émeutes du CIMO contre des manifestants non-armés; ou par les agents provocateurs de l’opposition qui infiltrent les manifestants et les groupes armés qui attaquent le gouvernement dans plusieurs villes des provinces. La démocratie, telle qu’elle est entendue par la constitution et le régime lui-même, suppose le respect du droit d’association et de réunion et à la contestation pacifique. La violence politique contre l’opposant n’est certes le monopole de personne en Haïti; mais Aristide doit décider à un certain moment de choisir entre être le défenseur de l’État de droit, comme la constitution haïtienne le prescrit, ou le chef d’un parti à la défensive comme ses partisans le réclament. Ironiquement ce choix dépend en grande partie non pas de la détermination d’Aristide de résister ses ennemis, mais dans la détermination de ceux-ci de continuer les surenchères. Cependant, défendre un État de droit ne signifie pas la passivité face à la provocation et le dérapage. Il a été reporté des instances où Aristide incitait ses partisans à contrecarrer ses adversaires; mais il est aussi vrai qu’Aristide appelait souvent au calme et à la rectification après coup, ce qui empêchait la répression de escalader en point de non-retour pour longtemps; mais le manque de leadership d’Aristide est évident. Avant les pourparlers à la Jamaïque, aucune initiative d’envergure n’était prise pour sortir de la crise, si ce n’était l’acquiescement passif à tel ou tel plan d’un médiateur opportun.

Les égarements de l’opposition

Quant à la Convergence démocratique, la Société civile et la Plate-forme démocratique, elles font semblant de combattre pour la «démocratie» et les droits humains quand, en fait, l’objectif même de leur praxis politique dénie toute légitimité au processus démocratique haïtien pour lequel le peuple a longtemps lutté. Par exemple, la dissension de la Convergence démocratique avec Aristide était due essentiellement, au commencement, à la fraude qu’elle accusait le gouvernement d’avoir commise en faveur de l’élection de huit candidats Lavalas aux élections sénatoriales de mai 2000. Au fur et à mesure qu’Aristide résistait leur demande—fort raisonnable à l’époque—ils augmentaient la mise, qui allait de la contestation des huit candidats jugés frauduleusement élus à la réfutation de toute l’élection, puis du boycottage des élections présidentielles de novembre 2000 où fut élu Aristide—ajoutant éventuellement la demande de démission de celui-ci comme pré-condition à toute résolution de la crise.

Le conflit n’était pas vraiment aussi irréductible qu’on voulait insinuer. En fait, Aristide aura éventuellement accepté la démission volontaire des huit sénateurs contestés et la continuation des pourparlers avec l’opposition en vue de résoudre la crise. Entre-temps la Convergence avait décidé de changer d’objectifs et de demande qui, de demande de redressement électoral législatif, changeait à l’«option zéro», c’est-à-dire à la contestation de la légitimité de l’élection présidentielle. On sentait dorénavant que l’opposition n’était pas prête à accepter une solution qui n’implique la démission préalable d’Aristide, une escalade qui rendra la crise mille fois insoluble et une précondition d’autant plus inouïe que tout le monde savait qu’Aristide remporterait n’importe quelle élection démocratique en Haïti. Le problème de la stratégie de la Convergence, c’était qu’il n’y avait plus une armée en Haïti pour imposer les diktat d’un homme fort ou d’un groupement actif, ou pour déclencher un coup d’État quand des manifestations de rejet s’avèrent continuelles, contagieuses, mais pas assez universelles pour forcer le changement désiré par un soulèvement de masse. Avant les rébellions armées de Gonaïves et de Saint-Marc, l’intervention étrangère demeurait ainsi le seul recours réaliste à ces ambitieux de pouvoir; maintenant beaucoup souhaitent que les rebelles l’emportent, faute de l’invasion du shérif du nord.

L’«option zéro» est une stratégie foncièrement anti-démocratique pour avoir ignoré tout le processus constitutionnel haïtien. Les élections présidentielles étant prescrites dans la constitution, Aristide était de son droit de s’en être porté candidat; le boycottage des élections par ses opposants n’invalide pas pour autant le résultat, ni sa légitimité, même si sa représentativité en souffre. Le gouvernement sortant de Préval avait commis l’erreur de ne pas reconnaître dès l’abord les irrégularités associées aux élections des huit candidats et pousser vers l’avant, d’autant plus que son parti, Lafanmi Lavalas (précisément le parti qu’il soutient dans la querelle qui aboutit à l’éclatement de l’Organisation Politique Lavalas ou OPL) remportait la majorité des sièges à la fois de la Chambre des Députés et du Sénat. Le temps mis pour redresser l’erreur a donné à l’opposition le prétexte qu’elle cherchait pour justifier ses surenchères.

Plusieurs questions sont à l’ordre du jour en face de cette problématique: 1) Pourquoi accepter le principe de l’élection démocratique si on allait cautionner la fraude électorale (comme le faisait apparemment le gouvernement sortant de Préval)? 2) Pourquoi réfuter l’entière élection quand vous avez vous-même décompté seulement huit cas irréguliers sur un total de vingt-sept? 3) Pourquoi appeler à l’intervention étrangère, dans un moment de grande agressivité impérialiste, à l’instant même où la nation commémorait son bicentenaire d’indépendance? Une position pour le moins irresponsable, connaissant l’immense affront national qu’aurait causé une telle intervention.

Le grand acquis que nous espérons être obtenu à l’issue de la présente crise, c’est la reconnaissance, par le gouvernement et ses partisans, du droit à la dissension et à la contestation des pouvoirs établis. Placé devant le choix entre la répression tous azimuts et l’accommodation des manifestants, le gouvernement semble jusqu’ici vaciller entre l’un et l’autre, même si sa tempérance est forcée par les pressions de Washington. Saurait-il résister pour longtemps la dérive fasciste inhérente à tout pouvoir populiste? Ou bien s’en est-il déjà livré, comme l’insinue l’opposition? Nous ne croyons pas vrai le dernier scénario, en tout cas pas jusqu’ici, mais la tentation demeure, comme on le voit dans les multiples cas de collusion entre les «chimères» et le gouvernement.

En outre, nous ne sommes pas d’accord avec ceux qui croient qu’il y a un vilain et un juste dans la lutte de pouvoir entre le gouvernement et l’opposition. Pour nous, ils partagent entre eux les torts et les irresponsabilités, et aussi bien sûr le même dédain des besoins du pays, puisque, des deux parts la priorité de l’emporter dans la lutte de pouvoir prime sur les intérêts socio-économiques et stratégiques du pays.

Le Lavalas a voulu monopoliser le pouvoir selon le prétexte qu’il aurait des ennemis réels qui attendent le moment opportun pour usurper le pouvoir et restaurer la domination du Bord-de-mer. C’est une très légitime appréhension que soutienne toute une tradition d’exclusion par les élites dominantes, cela depuis les premières années de l’indépendance. Cependant, brandir l’intention présumée hostile de l’ennemi comme justification de la répression est un procédé astucieux que les Duvaliers avaient su utiliser avec grande habilité.

La bourgeoisie traditionnelle a voué en effet à Aristide une haine implacable supposément pour leur avoir refusé leur droit naturel de gouverner. Le refus d’allouer de la légitimité à Aristide est donc au centre des préoccupations qui motivent leur opposition. Tout de même, le sens d’usurpation que la bourgeoisie légitimiste associe à Aristide est franchement incompréhensible quand on sait que François Duvalier leur avait déniée le droit de gouverner avant Aristide, les répressions par ses sbires faisant fonction de nécessité historique pour venger les humiliations des classes populaires, et qu’elle n’avait pas de problème à embrasser les Duvaliers à la fin, et encore moins les régimes forts post-7-février 1986, y compris le régime banditiste qui prit le pouvoir à la suite du coup d’État de septembre 1991. Ce qui aiguise particulièrement l’hostilité envers Aristide est peut-être l’invitation par celui-ci du lumpen de la Cité Soleil à venir s’asseoir sur «une même table» avec le grand bourgeois de Furcy, qui suppose peut-être pour eux une préconisation de l’égalité, mais qui pour nous est plutôt un signe de modération, puisqu’il ne demande tout bonnement qu’ils soient jetés en prison pour exploitation de classe.

L’inacceptabilité de l’intervention étrangère

L’ingérence étrangère en Haïti, sur le mode des injonctions impérialistes, était inacceptable en 1915, en 1994, et elle l’est encore aujourd’hui. Cela dit, un compromis entre les deux camps peut être conçu et négocié pour réaliser des élections législatives anticipées, ou pour nommer un premier ministre acceptable à l’opposition; mais le calendrier présidentiel, comme institué dans la constitution, doit être respecté. Pour endiguer la crise endémique qui dure déjà trop longtemps, Aristide devra prendre des initiatives qui démontrent bonne foi et sincérité dans l’intention de résoudre la crise. Il est déjà démontré que la coalition Convergence-Société civile-Plate-forme peut bien avoir des difficultés à prendre le pouvoir, mais elle est capable de bloquer le pays et maintenir l’instabilité institutionnelle indéfiniment.

Cependant, n’en déplaise à l’opposition, seule une solution constitutionnelle sera acceptable pour la résolution de la crise; autrement elle perdurera sous une forme ou une autre, aussi longtemps qu’il y a un besoin de redressement et de justice. Toute résolution imposée en dehors de la régularité constitutionnelle ne ferait que retarder l’inévitabilité d’autres crises, parce que, pour une énième fois, l’arbitraire ou la seule volonté insurrectionniste d’un groupe aura changé le gouvernement.

La démocratie n’est pas seulement le droit de renverser un gouvernement comme bon vous semble, même si le principe de la souveraineté populaire implique une telle possibilité. Dans le cadre de la démocratie pluraliste et électoraliste adoptée et consentie par à la fois Aristide et l’opposition, elle implique aussi l’acceptation du principe d’alternance, inscrit dans le préambule de la constitution, qui suppose la possibilité de prendre le pouvoir et le passer, le cas échéant, à un autre gouvernement qui peut être hostile au vôtre. L’opposition doit choisir entre la rébellion permanente et l’impératif de se constituer en une force alternative de gouvernement dans le cadre de la continuité de l’État et de la consolidation des institutions étatiques. En demandant la démission d’Aristide comme précondition à tout pourparler, l’opposition a privilégié l’objectif de la prise de pouvoir à tout prix, au grand mépris des credo démocratiques qu’elle prétend pourtant défendre. Au juste, si l’opposition arrivait à prendre le pouvoir dans les circonstances conjoncturelles actuelles, ce ne serait qu’un autre coup d’État par d’autres moyens. Donc, l’un des défis actuellement présentés aux deux camps, et aussi à l’aspiration démocratique historique du peuple, c’est de renoncer à cette pratique insurrectionnelle de la prise du pouvoir exécutif et accepter de jouer le jeu selon les prescriptions institutionnelles et constitutionnelles. Autrement, ce sera la répétition du continuel état de crise, le perpétuel recommencement, car les moyens extra-constitutionnels employés par les uns aujourd’hui pour «déchouker» un gouvernement constitutionnellement élu, seront utilisés contre leurs ennemis demain pour bloquer le pays et prendre le pouvoir. Et ainsi de suite.

Je me rappelle de presque tout le dix-neuvième siècle haïtien—exceptés des ilets de stabilité souvent sous la main forte d’un dictateur—comme une longue suite de crise politique après crise politique, artificiellement déclenchées par un politicien ambitieux du pouvoir ou une classe socio-politique cherchant un avantage; l’alternance du pouvoir se faisait à coup de forces et insurrections répétées selon les humeurs de chefs de fief convoitant le pouvoir absolu que confère la présidence du pays, une ambition qui peut être incitée par un affront personnel ressenti, ou la défense d’un intérêt particulier. Ces crises ont généralement débouché sur la prise du pouvoir par un camp adverse, suivie par la répression sauvage des antagonistes déchus, ou rebelles vaincus.

À ce propos les deux tomes du livre magistral de Claude Moïse, Constitution et lutte de pouvoir en Haïti, sont très éclairants. Le livre a catalogué la succession de crises endurées par le pays, souvent vécues par le peuple dans le trauma et la catastrophe, montrant le caractère arbitraire et fantaisiste des décisions et agissements politiques. Nous demandons au lecteur de souffrir que nous citions in extenso dans le prochain paragraphe certaines parts du second tome du livre de Moïse que nous trouvons très pertinentes à la présente crise haïtienne.

Le tome commence avec la guerre civile de 1902 où s’opposaient les partisans d’Anténor Firmin, «grand intellectuel, membre éminent de la classe politique», et les troupes du général Nord Alexis, «vieux militaire aguerri, octogénaire, au passé de conspirateur et de combattant de guerres civiles depuis 1865…». Pour Moïse le conflit entre les deux camps ne faisait que continuer les luttes précédentes qui remontaient jusqu’à 1804: «La conjoncture de crise de 1902 charriait les mêmes confusions de luttes de clans, d’intérêts régionaux, d’ambitions sordides, de fantasmes divers dont sont affligées les classes dirigeantes. Le tout assorti des intrigues des représentants des puissances étrangères». Nord Alexis resta six ans au pouvoir, suivi d’Antoine Simon, qui dura quatre ans, mais toute la durée de la présidence de Simon est parsemée de luttes de clans, de crises politiques et de répressions gouvernementales. Un autre général, Cincinnatus Leconte, rentra de l’exil en République dominicaine en août 1911 et renversa Simon. Leconte fut donc proclamé président; mais un an plus tard, précisément le 8 août 1912, une violente explosion détruisit le palais et Leconte avec. Entre-temps, les Nord-américains continuaient d’intriguer pour obtenir la concession du Môle Saint Nicolas. De 1912 à 1915, cinq présidents se succédaient, trois en seulement un ans (Oreste Zamor, Davilmar Théodore, Vilbrun Guillaume Sam). Comme le dit Moïse, à chacun d’eux les Nord-américains «[offrent] une assistance politique et militaire et [soumettent] le projet de Convention qui, devant lier formellement les deux États, comprendrait, entre autres points majeurs, la gestion des douanes et le contrôle financier, la question des dettes de l’État haïtien et de ses relations avec la Banque, la garantie de protection des intérêts étrangers et la neutralisation du Môle St-Nicolas qui ne devrait être donné en bail, ni d’ailleurs aucune autre partie du territoire, à une quelconque puissance étrangère». Trois mois après l’investiture de Vilbrun Guillaume Sam, le nord s’insurgea sous l’influence de Rosalvo Bobo, hostile au projet de Convention. On connaît le reste, la populace, furieuse du massacre des prisonniers politique perpétré par le chef de la police Charles Oscar, d’une réputation de cruauté légendaire, se déchaîna: «Aux petites heures du matin du 27 [juillet 1915], le Palais National est attaqué. Ses défenseurs mis en déroute, le président Sam se réfugie dans la légation de France (…) On sait ce qu’il est advenu, le lendemain 28 juillet, du président Sam: arraché du Consulat de France, [il est] lynché et dépecé par une foule en colère. Quelques heures plus tard, Caperton arrive dans la rade de Port-au-Prince».2

L’auto-réalisation de la prophétie

La raison de cette digression dans l’Histoire, c’est pour mettre en garde contre la dérive partisane du moment où les passions sont à leur paroxysme d’ébullition. En un sens, ce qui se déroule à présent en Haïti, c’est le phénomène que les Nord-américains appellent le «self-fulfilling prophecy» ou l’auto-réalisation de la prophétie, c’est-à-dire la mise en application, par des procédés consciemment ou inconsciemment choisis, du spectre le plus redoutable contre lequel on voulait justement se prémunir. L’hostilité du Congrès américain, dominé par l’extrême-droite du parti républicain depuis 1995, ne favorisait pas, loin de là, la mise en application du programme populiste d’Aristide. En effet, bien que à la fois le premier gouvernement d’Aristide, celui de son successeur René Préval et le subséquent gouvernement Aristide eussent tour à tour accepté tous les préceptes du libre-échange et du programme d’ajustement structurel préconisé par le Fonds monétaire international, une politique fortement soutenue par les conservateurs américains, ceux-ci ne se sont jamais débarrassés de leur antipathie quasi-pathologique envers Aristide et le Lavalas, ni de leur volonté de le renverser pour avoir incité ce qu’ils considèrent comme les bas instincts d’une populace perdue dans le délire populiste.

Étant donné l’état déplorable des choses en Haïti que le Lavalas, à tort ou à raison, symbolise en ce moment, il est peut-être difficile de manifester une quelconque sympathie à son égard; mais on ne doit nullement oublier qu’il représentait l’espoir pour la majorité du peuple haïtien il n’y a pas encore longtemps. Il ne faut pas non plus oublier que la lutte historique du peuple haïtien pour la liberté, la justice et la dignité précède et transcende la conjoncture actuelle et que demain, en dernière analyse, le problème de l’exploitation de l’homme par l’homme—ou de la femme par la femme ou l’homme—demeurera entier si la société ne s’en fait une priorité qui exige une attention immédiate pour le changer.

La faillite du Lavalas en tant que projet populiste ne signifie pas la fin de la lutte de la Cité Soleil pour changer la vie. Au fonds, un autre aspect important, qui se joue en sous-main, parallèlement, dans la tragédie haïtienne d’aujourd’hui, c’est une certaine résistance désespérée d’une bonne partie du peuple pour sauvegarder les acquis historiques du Lavalas, plus précisément l’influence de la Cité Soleil au niveau du pouvoir exécutif haïtien; un grand accomplissement si on se rappelle qu’avant 1986 et 1990 le peuple n’avait rien à dire dans les affaires de l’État et de la chose publique.

Reconnaître le bien-fondé historique du phénomène Lavalas ne veut toutefois pas dire accepter les prétextes avancés par les partisans du régime pour justifier la répression policière des manifestants. Le principe de la liberté de contestation par les citoyens et citoyennes doit être respecté comme inaliénable. Les prérogatives de l’État dans son devoir de protection de l’ordre public ne prévalent pas sur la souveraineté ultime de la citoyenneté pour changer les choses publiques, ou l’État lui-même quand il le faut. Un État de droit a pour devoir absolu de maintenir la balance entre ces deux exigences. Pour s’être désigné, à tort ou à raison, comme le défenseur du peuple, le gouvernement Aristide a l’obligation de promulguer des lois qui entérinent les acquis démocratiques du peuple, mais il a aussi le devoir de protéger l’ordre public qui est indépendant du sentiment partisan.

L’actualité a annoncé la prise en charge de Gonaïves, de Saint-Marc et d’autres villes des provinces par des groupes armés rebelles par suite des affrontements armés avec les forces de police du gouvernement. Il y a eu des morts et des blessés dans les deux camps. Vues dans le contexte d’une série d’autres actions armées du même type dans la zone de l’Artibonite et des villes frontalières, il est difficile de soutenir que la violence soit exclusivement gouvernementale comme le suggéraient certains reportages, et que l’opposition soit un corps d’enfants de cœur défendant les droits humains!

Ces actions armées et la tactique générale de l’opposition démontrent une volonté inébranlable de prendre le pouvoir par tous les moyens nécessaires, même s’ils dénient le credo démocratique dont elle s’affuble. L’intention affichée par les rebelles armés est conforme aux modalités tactiques des actions armées du dix-neuvième siècle haïtien que nous mentionnions plus haut: une force rebelle conquérante, généralement partant des provinces pour aboutir au Palais national, à Port-au-Prince, l’enjeu suprême.

C’est bien décevant que la première opposition dans la nouvelle démocratie haïtienne se soit donnée pour objectif le renversement d’un gouvernement constitutionnel par des moyens extra-constitutionnels. Vouloir remédier à la violation partielle des lois électorales par le gouvernement en demandant la méprise totale des prescriptions constitutionnelles, c’est comme se laver les mains et les essuyer dans la boue, comme nous disons en Haïti.

Il faut qu’il arrive un jour où nous nous décidons de déposer les armes militaires et insurrectionnelles, pour prendre les armes programmatiques de gouvernement et chercher les ressources indispensables pour construire le pays. Un petit pays comme Haïti—comme l’exemplifient deux cents ans d’histoire—ne peut pas se permettre des crises politiques continuelles sans que celles-ci n’affectent négativement son bien-être et sa survie. C’est en effet une question de survie pour Haïti aujourd’hui: survivra-t-elle en tant que pays indépendant dans le contexte de la globalité capitaliste et de la crise politique permanente?

Bien que l’ampleur de la répression lavalassiènne n’ait jamais atteint, du moins jusqu’ici, la proportion massacrante des répressions opérées par les régimes précédents, toujours est-il le gouvernement a l’obligation de maintenir l’ordre public sans recourir à la violence démesurée. L’opposition a le droit de manifester son opposition au gouvernement dans les limites prescrites par la loi. La dissension est un droit reconnu dans toute démocratie pluraliste, et même dans les régimes qui privilégient d’autres aspects de la démocratie, il y a des pratiques et clauses de redressement exprimées dans les doléances du public qui impliquent le respect de la revendication des autres. L’opposition a le droit d’appeler à la démission d’Aristide, mais la demander comme précondition et vouloir l’imposer par l’agitation et la force, c’est quitter l’ordre de la légalité constitutionnelle, dans ce cas-là le gouvernement et les votants qui l’avaient élu ont le droit de la contrecarrer.

Reconstruire l’espoir

La lutte historique du peuple haïtien pour la liberté, la justice sociale et la dignité transcende le conflit entre le Lavalas et la Plate-forme démocratique. Transcendance et antériorité puisque cette lutte précède l’arrivée du Père Aristide sur la scène politique haïtienne, mais aussi continuité de la lutte dans la mesure que ni l’arrivée du Lavalas au pouvoir, ni le coup d’État, ni la restauration du Lavalas par les Nord-américains n’auront un impact structurel en profondeur sur les relations de classe et le système socio-politique haïtien qui demeure foncièrement injuste et inégal. En fait, la classe possédante haïtienne avait grandement servi du Lavalas, sous la forte pression de son allié dominant du nord, pour consolider les gains et concessions obtenus sous le régime putschiste et le gouvernement affaibli d’Aristide. Donc, la révolution politique, sociale, intellectuelle et éducationnelle demeure encore à faire.

Naturellement, la question aujourd’hui, c’est comment résoudre la crise politique sans hypothéquer l’indépendance du pays et sans créer un nouveau régime fasciste qui piétine les libertés civiles, manipulant les institutions de l’État au besoin? Ce qui saute aux yeux, c’est d’abord l’aspect disparate, hétéroclite, de l’opposition à Aristide, ce qui peut être à la fois un bonheur et une malédiction: des ex-gauchistes qui se joignent à des ex-duvaliéristes et des droitistes de la bourgeoisie sous-traitante pour forcer une ouverture. Beaucoup semblent tirer leur partie de l’imbroglio. Certains militants et sympathisants de la gauche croient nécessaire de défendre le régime Lavalas à cause de leur inquiétude vis-à-vis une possible restauration macoute en Haïti, ou une situation pré-macoute où la grande bourgeoisie à prépondérance mulâtre contrôle à la fois l’État, l’Université et le commerce. Le succès de André Apaid et du groupe des 184 ont ravivé le spectre d’une telle appréhension.

Nous récusons tout de même le dualisme de tels scénarios parce qu’il semble confiner les options de la crise—et de la lutte—dans l’étroite perspective partisane et manichéenne des deux camps. Accepter la dérive fasciste sous le prétexte de se prémunir contre un plus grave fascisme, ce n’est pas particulièrement une position révolutionnaire conséquente. De plus, la gauche ne doit pas se faire l’otage d’une adhésion inconditionnelle au Lavalas aristidien pour la simple raison que celui-ci se définit plus par la réaction à l’hostilité de ses ennemis que par une vision révolutionnaire déterminée.

Cela dit, nous croyons que la prise du pouvoir par la Plate-forme démocratique constituerait un recul de la lutte de libération populaire dans la mesure qu’elle remplacerait un régime constitutionnellement élu et choisi sur la base des revendications et de la résistance du peuple, par un autre régime choisi en grande partie par l’agitation et la manipulation de l’extérieur. Un recul parce que la bourgeoisie et ses alliés opportunistes de la classe politique auront pris le pouvoir en dehors de l’alternance démocratique prévue par la constitution, donc non-démocratiquement.

Comme l’ont remarqué beaucoup d’observateurs, il y a aussi des forces occultes, agissant dans l’ombre et créant des effets d’ombre, dont l’objectif est de dévier les revendications et la lutte de libération populaire dans le sens de les affaiblir. Bien qu’il y ait des dirigeants de l’opposition qui défendent le principe d’un État de droit dans leur revendication, les plus virulents d’entre eux sont motivés soit par la haine d’Aristide, soit par l’opportunisme, et ne s’inquiètent pas outre mesure de la dégradation du pays.

Le présent défi posé par ce nouveau centenaire, c’est de travailler assidûment et exclusivement pour sortir le pays du délabrement où il sombre depuis 1804. Car c’est injuste et c’est un crime que des familles haïtiennes vivent dans l’état de dénuement observé dans certaines provinces et dans les bidonvilles de Port-au-Prince, cela chez la majorité du peuple haïtien. C’est un crime que des malades doivent enjamber des monts et des prés, comme nous l’observions à Cange, dans la région Péligre, pour trouver des soins médicaux primaires et souvent incomplets.

C’est injuste et c’est un crime que des millions d’Haïtiens défavorisés se soient refusés l’accès à l’éducation parce qu’il n’ont pas de l’argent ou parce qu’il n’y a pas une infrastructure scolaire sur place pour leur en dispenser. C’est injuste et c’est un crime que des millions de personnes doivent aller au lit chaque soir sans manger parce qu’ils n’ont pas de l’argent ou un ami secoureur pour leur procurer de la nourriture. C’est injuste et c’est un crime que des millions de citoyens et citoyennes d’un pays si fier doivent émigrer et vivre dans la dissociation et la rupture, parce que le pays n’offre aucune opportunité de surmonter la pauvreté par des moyens honnêtes. C’est aussi injuste et un crime que tout le pays, pour si longtemps, devait vivre dans la crise, le cauchemar, l’horreur, et que même ses moments de lueurs d’espoir sont aussi des moments de pleurs, de chagrin, de ressentiment.

Pour nous, une lutte politique conséquente suppose l’application d’une praxis délibérée pour changer la vie. Changer la manière automatique et inconsidérée la misère, l’oppression, la négation de l’Autre sont vécues, acceptées et passées d’une génération à l’autre comme si elles étaient déterminées par des lois rigoureuses de la nature ou par la volonté divine. Changer la vie, change l’image dépréciée, la manière auto-dévalorisante les humains vivent leur humanité; changer la dégradation de la vie.

Comme nous le disions dans le précédent article, le nouvel héroïsme haïtien d’aujourd’hui, ce n’est plus la prise d’arme valeureuse, glorieuse qui aboutit à la prise du pouvoir où l’ennemi est dérouté; le nouvel héroïsme, c’est une praxis militante qui facilite l’accès à la nourriture, à l’habitat, à la santé, à l’éducation, à l’inter-communication. C’est une nouvelle réflexion sur la problématique haïtienne qui suppose que les douleurs ont été endurées et les leçons apprises. Un nouvel héroïsme qui glorifie le nombre de malades qui ont été guéris, de chômeurs qui ont trouvé du boulot, de désespérés qui ont trouvé un refuge humain et confortant dans une société réhumanisée.

Notre refus du dualisme réducteur Lavalas-Opposition témoigne de notre embrassement de la liberté et de l’indépendance comme facteurs décisifs d’une praxis politique révolutionnaire. Il témoigne aussi de notre désir de voir notre pays avancer objectivement en dépit des considérations subjectives.

La crise politique qui assaille Haïti en ce moment peut être essentiellement, en dernière analyse, une crise de maturité qui teste l’endurance et la solidité de la fondation de la nouvelle démocratie haïtienne. Celle-ci peut régresser dans l’infantilité, succombée sous le poids du chaos ou de la réaction anti-populaire et anti-progrès, ou progresser vers l’avant, vers un bond qualitatif du projet de vivre le rêve de justice et de liberté. Nous luttons pour atteindre ce second état d’être, parce que nous refusons le dualisme de l’impasse pour l’ouverture vers de nouveaux horizons. C’est le seul moyen de gagner la lutte et reconquérir l’espace perdu. C’est un combat pour l’avenir.

—Tontongi Boston, février 2004

Notes:

1. Lire «l’Impasse haïtienne: ses enjeux, dangers et possibilités», par Eddy Toussaint, Haïti en marche du 21 au 27 février 2001.
2 Cf. Constitution et lutte de pouvoir en Haïti, tome I: «La faillite des classes dirigeantes (1804–1915) et tome II: «De l’occupation américaine à la dictature macoute (1915–1987), Éditions CIDIHCA, Montréal, Canada, 1990.

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