Dans son livre L’Explosion du journalisme (Galilée, Paris, 2011), Ignacio Ramonet consacre tout un chapitre au phénomène WikiLeaks. À l’heure où l’Équateur vient d’accorder l’asile diplomatique à Julian Assange, fondateur du site, la relecture de ce chapitre nous permet de mieux comprendre la nature réelle de WikiLeaks, la dimension exceptionnelle de ses révélations en matière d’information et pourquoi les États-Unis, le Royaume Uni et la Suède font preuve d’un tel acharnement contre l’extension du domaine de la liberté d’expression que Julian Assange et WikiLeaks ont entrepris.
Le langage politique est conçu pour rendre le mensonge crédible et le meurtre respectable, et pour donner à ce qui n’est que du vent une apparence de consistance.
—George Orwell
Wikileaks
—par Ignacio Ramonet Extrait de L’Explosion du journalisme, Galilée, Paris, 2011
La « publication illégale de documents confidentiels1 » est d’ailleurs le principal reproche fait par de nombreux gouvernements—à commencer par celui des États-Unis—, au plus célèbre des sites de diffusion d’informations confidentielles, « fuitées » de bases de données : WikiLeaks (http://mirror.wikiLeaks.info/).
De violents débats font rage dans le monde pour savoir si WikiLeaks a fait avancer ou pas la cause de la presse libre, s’il est bon ou mauvais pour la démocratie, s’il faut ou non le censurer. Une chose est certaine, tous les journalistes savent que son rôle dans la diffusion, notamment, de dizaines de milliers de rapports secrets sur les exactions commises par des militaires en Afghanistan et en Irak, et des quelque 250 000 dépêches adressées par les ambassades des États-Unis au Département d’État, constitue « un moment majeur dans l’histoire du journalisme2 ». Il y aura désormais un avant et un après cet instant-là.
Fondé en 2006 par un groupe d’internautes anonymes, dont la figure visible est Julian Assange, WikiLeaks s’est fixé pour mission d’accueillir et de diffuser des fuites d’informations (leaks), et de garantir la protection des sources.
Il n’est pas inintéressant de savoir quelles sont les trois raisons qui, selon Julian Assange, ont motivé sa création : « La première, c’est la mort de la société civile à l’échelle mondiale. À très grande vitesse, des flux financiers déplacent des fonds au moyen de virements électroniques plus rapides que n’importe quelle sanction politique ou morale. Ils détruisent ainsi la société civile dans l’ensemble de la planète. Un groupe important de gens sait faire cela et en profite pour accumuler richesses et pouvoir. La seconde, c’est l’existence d’un gigantesque État sécuritaire occulte qui ne cesse de se développer. Basé aux États-Unis, il s’étend de plus en plus à toute la planète. »(…) La troisième, « c’est le désastre des médias internationaux.(…) Ils sont si mauvais et nous manipulent tellement que nous nous porterions mieux si aucun média n’existait. Aucun3.»
Assange porte, en effet, un regard radicalement critique sur le journalisme. Dans un entretien, il va jusqu’à affirmer : « Le journalisme est dans un tel état d’impuissance que me qualifier de journaliste serait m’injurier. Le plus grand forfait commis par les journalistes c’est la manière dont ils racontent les guerres [d’Irak et d’Afghanistan]. Des guerres dont ils sont en partie responsables par leur manque de questionnement, leur absence d’intégrité et leur misérable léchage des bottes à tous les porte-paroles gouvernementaux4. »
La philosophie de WikiLeaks repose sur un principe central : les secrets sont faits pour être dévoilés. Toute information cachée a donc vocation à être mise au jour et à la portée des citoyens. Les démocraties ne doivent rien occulter. Les dirigeants politiques non plus. Si les actions publiques de ces derniers ne sont pas en contradiction avec leurs agissements privés ou secrets, les démocraties n’ont nullement à craindre la diffusion d’informations « fuitées ». Car dans ce cas—et dans ce cas seulement—cela signifie qu’elles sont moralement exemplaires. Et que le modèle politique qu’elles incarnent—considéré comme « le moins imparfait de tous »—peut alors effectivement s’étendre, sans obstacle éthique majeur, à l’ensemble de la planète.
Pourquoi alors les journalistes devraient-il se taire, en démocratie, quand un responsable politique affirme une chose en public et son contraire en cercle restreint ?
Le site propose à chaque internaute de divulguer, via sa plateforme, des enregistrements sonores, des vidéos ou des textes confidentiels dont il refuse de savoir comment ils ont été obtenus, mais dont il se charge de vérifier l’authenticité. Deux dizaines de volontaires y travaillent à temps complet ainsi que quelque 800 collaborateurs (journalistes, juristes, informaticiens) bénévoles. WikiLeaks vit des dons des internautes ou de fondations. Il n’accepte ni aides publiques ni publicité.
De nombreuses instances ont reconnu l’utilité publique de son travail. En 2008, il a reçu l’Index on Censorship Award décerné par l’hebdomadaire britannique The Economist. Et en 2009, Amnesty International lui a attribué le Prix du meilleur « nouveau média » pour avoir diffusé, en novembre 2008, un document censuré sur une affaire de détournement de fonds effectué par l’entourage de l’ancien président du Kenya, Daniel Arap Moi.
Depuis sa création, WikiLeaks est un festin permanent de secrets, une fabrique de scoops5. Il en a davantage diffusé en trois ans que tel ou tel prestigieux média en trente ans… Parmi les révélations les plus fracassantes effectuées entre 2006 et 2009, on peut citer : la diffusion de documents dénonçant les techniques utilisées par la banque privée helvétique Julius Baer pour favoriser l’évasion fiscale ; le manuel de procédure pénale de l’armée américaine dans le bagne de Guantanamo ; la liste des noms, des adresses, des numéros de téléphone et des professions des membres du Parti national britannique (BNP, extrême droite) incluant des policiers ; la liste détaillée des messages électroniques échangés avec l’extérieur par les victimes des attentats du World Trade Center le 11 septembre 2001 ; les documents prouvant le caractère frauduleux de faillite de la banque islandaise The New Kaupthing ; les protocoles secrets de l’Église de Scientologie ; l’historique des courriels personnels envoyés pendant la campagne électorale par Sarah Palin, candidate à la vice-présidence des États-Unis aux côtés de John McCain, à partir de son ordinateur professionnel (ce que la loi américaine interdit) ; les dossiers du procès de Marc Dutroux, avec la liste des numéros de téléphone, des comptes bancaires et des adresses de toutes les personnes ayant fait l’objet d’enquêtes dans cette affaire de pédophilie…
L’affaire Probo Koala
Chacune de ces révélations avait déclenché de formidables controverses mais aucune n’a atteint un véritable écho médiatique en dehors des cercles concernés. C’est peut-être avec le « cas Trafigura » que l’action de WikiLeaks trouve, pour la première fois, une audience internationale.
Basée à Londres, la multinationale Trafigura est une des plus importantes entreprises mondiales spécialisées dans le transport de pétrole et de matières premières. Déjà mêlée au scandale « pétrole contre nourriture » en Irak, elle était accusée d’avoir affrété, en 2006, le « cargo de la honte » Probo Koala pour transporter des déchets chimiques dangereux en Côte d’Ivoire où ils devaient y être traités. Cependant, pour des raisons d’économie, ces résidus toxiques furent tout simplement déversés dans diverses décharges d’Abidjan… Résultat : une dizaine de morts, des milliers d’intoxiqués et un énorme scandale international…
Dans le but de préparer sa stratégie de défense, Trafigura commande alors un rapport interne—« The Minton Report »—pour déterminer la toxicité réelle des déchets. Il se révèle accablant. La multinationale décide de le garder secret. Mais WikiLeaks parvient à se le procurer, et, en septembre 2009, le diffuse. Le document démontre, preuves scientifiques à l’appui, que les résidus chimiques ont intoxiqué 108 000 personnes…
Soucieuse de colmater la fuite, Trafigura a immédiatement recours au très « pugnace » cabinet britannique Carter-Ruck, spécialisé dans ce genre d’opérations d’intimidation et de muselage. Ses avocats réussissent à obtenir d’un juge complaisant une procédure de référé qui interdit au quotidien The Guardian de diffuser le Minton Report, mis à sa disposition par WikiLeaks. Trafigura semble s’en tirer, et crie déjà victoire.
Merci Twitter !
Mais dès le 12 octobre 2009, via son site en ligne (www.guardian.co.uk) qui reçoit quelque 30 millions de visiteurs uniques par mois6, le Guardian informe ses lecteurs que, pour la première fois depuis sa fondation en 1821, la justice l’empêche d’écrire sur cette affaire sous prétexte qu’elle est en débat au Parlement. Le message ne passe pas inaperçu. Aussitôt, un militant des droits de l’homme se mobilise. Il lance illico une alerte hashtag7 sur Twitter. Et sur le champ, se lève « une armée de journalistes, bloggeurs, twitternautes, membres de réseaux sociaux, qui se mettent tous à chercher ce que le cabinet Carter-Ruck (second hashtag : #carterruck) voulait étouffer8.»
À peine quarante-deux minutes après que le Guardian ait lancé son cri d’alarme, Internet parvenait à dévoiler au monde ce que le quotidien avait ordre de taire9. « Et la twittersphère devait continuer à s’enflammer, au point que “trafigura”, “carterruck” et “guardian” allaient devenir, le temps d’une soirée, les mots les plus twittés en Europe. Le lendemain, à 12h19, Carter-Ruck pliait, et envoyait un e-mail au Guardian, lui disant qu’il pouvait publier…10 »
Reconnaissant la puissance, la rapidité et l’efficacité de la Toile en général et des nouveaux réseaux de communication en particulier, Alan Rusbridger, le directeur du quotidien, envoyait alors, à la communauté des internautes, via le microblogging, ce message de gratitude : « Merci Twitter et tous les twitternautes pour votre fantastique soutien ces 16 dernières heures ! Grande victoire pour la liberté d’expression. » Quelques jours plus tard, tirant les leçons de cet événement, Rusbridger admettait : « Nos lecteurs sont désormais partie prenante de ce que nous faisons (…) Nous avons pu réaliser des choses qui auraient été impossibles sans eux11. » En fait, elles auraient été impossibles sans… WikiLeaks.
Meurtre collatéral
L’année 2010 aura été celle de la consécration du site de Julian Assange. Il faut dire qu’il a frappé très fort. Et ce, dès le mois avril lorsqu’il a diffusé une vidéo intitulée Collateral Murder (Meurtre Collatéral).
Elle démarre sur cette phrase en exergue de George Orwell: « Le langage politique est conçu pour rendre le mensonge crédible et le meurtre respectable, et pour donner à ce qui n’est que du vent une apparence de consistance12. » Les images sont prises de l’intérieur d’un hélicoptère Apache qui survole un quartier de Bagdad. La scène se passe en plein jour le 12 juillet 2007. On y voit, en plongée, plusieurs personnes qui marchent dans la rue. L’une d’elles—un reporter de Reuters, Namir Noor-Eldeen, accompagné de son collaborateur Saeed Chmagh—porte une caméra. Les militaires croient qu’il s’agit d’une arme, un lance-roquette RPG. Sans sommation, ils tirent sur les suspects plusieurs rafales de mitrailleuse lourde. Les ordres fusent : « Keep shooting ! » « Keep shooting ! » (Continue de tirer !). Douze personnes sont tuées, dont les deux reporters et un enfant de neuf ans. On entend les dingues de la gâchette se marrer. Insulter les victimes : « Bastards ! » Puis ils s’en vont…
En moins de 48 heures, la vidéo fait le tour du monde et donne lieu à plus de 3 000 articles dans les médias internationaux. Quatre millions de personnes la voient sur YouTube13 dans les trois jours qui suivent sa diffusion sur la Toile. Le Pentagone est contraint d’ouvrir une enquête. Mais l’armée maintient sa version : « Neuf “insurgés” ont été tués à cette occasion. » Et la mort des journalistes ? « Des dommages collatéraux… »
Assange diabolisé
WikiLeaks allait encore stupéfier le monde avec trois autres « fuites massives » en 2010 : 76 000 documents classés de l’armée américaine sur les crimes de guerre en Afghanistan14 ; 400 000 rapports d’incidents et d’exactions (ou SIGACT, Significant Action in the War) rédigés par des militaires américains en Irak de 2004 à 2009, ce qui constitue la « fuite la plus importante de documents militaires confidentiels de l’histoire » ; et surtout quelque 250.000 dépêches diplomatiques échangées entre 274 ambassades américaines et le Département d’État à Washington.
Les polémiques atteignent, à cette occasion, un degré de virulence hallucinant. Normal. « Si c’est du bon journalisme—affirme Julian Assange—c’est controversé par nature. » « Robin des bois » de l’information en ligne, le fondateur de WikiLeaks est un personnage digne d’un roman de Stieg Larsson (l’auteur de Millénium). Il est quasi divinisé par les uns, diabolisé par les autres. Washington en a fait, presque au même titre qu’Oussama Ben Laden, son deuxième « ennemi public n°1 » et le traque partout dans le monde avec ses redoutables moyens de première puissance mondiale15.
L’offensive des États contre WikiLeaks est semblable à celle conduite naguère, par exemple, les autorités britanniques, en 1983, à l’encontre de Sarah Tisdall, une fonctionnaire du Foreign Office, condamnée à six mois de prison pour avoir fourni au Guardian des rapports révélant comment le gouvernement de Mme Margaret Thatcher prévoyait l’installation secrète en Grande Bretagne de missiles de croisière américains. Ou les autorités israéliennes, contre l’expert nucléaire Mordechaï Vanunu, condamné à 18 ans de prison pour avoir « fuité », en 1986, vers le Sunday Times de Londres, des documents démontrant qu’Israël détenait l’arme atomique.
C’est pourquoi des milliers d’internautes éparpillés dans le monde et regroupés au sein du collectif Anonymous ont lancé, en représailles, une puissante cyber-riposte—l’Opération Payback—et perturbé sérieusement—en saturant de requêtes les serveurs de leurs sites—le fonctionnement de sociétés comme Amazon, Visa, Paypal ou MasterCard qui avaient adopté des mesures contre WikiLeaks et Julian Assange. Le plus souvent, ses membres mènent des attaques par déni de service distribué (DdoS). Via un logiciel gratuit—LOIC, pour « Low Orbit Ion Cannon » (littéralement, un « canon à ions en orbite basse »)—ne nécessitant pas de compétences informatiques poussées, leurs ordinateurs se connectent au même instant sur le site Internet cible, pour le saturer de connexions.
Attaché à la défense des libertés sur Internet, Anonymous constitue une nouvelle forme de citoyenneté internationale. À l’occasion de la floraison de révoltes populaires dans le monde arabe, au début de l’année 2011, ce collectif a participé à plusieurs batailles politiques. En Tunisie, il s’est attaqué au site officiel du dictateur tunisien Ben Ali. Puis il a multiplié les messages de menace à l’adresse d’autres régimes autoritaires. En Égypte, où les autorités avaient, pour la première fois, « débranché » du Web les vingt-trois millions d’internautes locaux et coupé les réseaux de téléphonie, bloquant ainsi l’accès à Twitter et Facebook, Anonymous y a coordonné des attaques informatiques massives contre divers sites gouvernementaux, notamment les ministères de l’Intérieur et de la Communication16.
Selon Richard Stallman, un des principaux promoteurs des logiciels libres17, ces cyber-manifestations constituent un indispensable sursaut citoyen pour la défense de nos droits sur l’Internet : « Les actions des Anonymous sont une forme de manifestation numérique semblables à celles du monde réel où des foules descendent dans les rues pour manifester leur opposition à certaines mesures. Le mode opératoire des Anonymous pour bloquer des sites n’a mis en cause ni l’intégrité de ces sites ni leur sécurité ; il ni s’est traduit par aucun vol de données18. » Cette riposte ressemble, selon lui, aux méthodes utilisées par les étudiants anglais qui ont protesté, en décembre 2010, à Londres devant les magasins Topshop : ils n’ont rien cassé, n’ont rien emporté, mais ils ont causé un tort considérable au propriétaire Philip Green (un milliardaire accusé d’évasion fiscale et dont l’épouse est fiscalement domiciliée à Monaco) qui a été chargé par le premier ministre David Cameron de réfléchir au moyen de réduire les dépenses publiques19.
Au service de l’intérêt public
Partout, les querelles autour de WikiLeaks ont été très violentes. Elles ont redoublé, en janvier 2011, après l’annonce faite par Julian Assange à Londres que WikiLeaks s’apprêtait à diffuser des données bancaires portant sur quelque deux mille comptes secrets ouverts aux Îles Cayman (un paradis fiscal situé dans les Caraïbes) par des dirigeants politiques de plusieurs pays (États-Unis, Royaume Uni, Allemagne, Autriche, etc.) et des personnalités des mondes des affaires et de la culture ayant fait fortune des deux côtés de l’Atlantique. Ces informations confidentielles ont été fournies à WikiLeaks par Rudolf M. Elmer, un ancien responsable de la banque suisse Julius Baer, spécialisée dans les opérations d’évasion fiscale. Désireux de dénoncer un système permettant aux riches de ne pas payer d’impôts, Rudolf Elmer avait d’abord offert ces informations au ministre allemand des finances Peer Steinbrück, lequel s’était empresser de les enterrer au fond d’un classeur. Avec WikiLeaks, le retentissement est garanti.
Certains critiques sont allés jusqu’à comparer ses façons d’agir à celle d’un receleur20. Toutefois, les médias les plus sérieux ont défendu que ses révélations constituaient des contributions fondamentales à une meilleure connaissance de dossiers décisifs, et servaient par conséquent l’intérêt public. « Le droit du public à être informé est si fondamental en démocratie—affirme, par exemple, Edwy Plenel, fondateur du site Médiapart—qu’il peut prendre le pas sur d’autres droits s’il est avéré que les informations rendues publiques sont d’intérêt général, et tel est bien le cas des révélations de WikiLeaks, comme en témoigne abondamment leur reprise par les médias du monde entier ainsi que l’absence de poursuites judiciaires sur le fond21.
WikiLeaks rappelle que, pour lutter contre la corruption, le népotisme et les abus des gouvernants, « la transparence est le meilleur des désinfectants22 ». Il révèle ce que des dirigeants politiques font—notamment dans le domaine de la politique étrangère—, au nom des citoyens ; leurs contradictions, leurs simulations, leurs fourberies. Il met le « linge sale » des États sur la place publique et refuse qu’il « se lave en famille ». Il met à nu le décalage entre les propos publics des politiciens et leurs agissements à l’ombre du secret. Il montre comment un vrai cynisme d’État est pratiqué au nom, prétendument, de l’intérêt collectif.
Tout cela est sans doute vieux comme le monde, mais aujourd’hui la numérisation massive des données et des archives offre la aisément la possibilité à tout agent manipulant ces fichiers, et scandalisé par le décalage moral entre ce qu’il y apprend et la fausse version qu’en donnent les responsables politiques de dénoncer ceux-ci en révélant, d’un clic, les preuves qu’il détient. « Avec Internet—affirme Felix Stalder, professeur à l’Institut des nouvelles technologies culturelles de Vienne—une infrastructure sophistiquée de communication est désormais à la portée de toute personne à qui cette dissonance fondamentale donne l’énergie et la motivation nécessaires pour “faire exploser le système”23. »
En France, nombre de journalistes officiels, bien au chaud dans la proximité du pouvoir, se sont pourtant acharnés à disqualifier WikiLeaks ou à en minimiser l’apport. Probablement parce que cette organisation a mis soudain à nu, par contraste, leur paresse, leur inertie et leurs connivences. Dans l’ensemble, ces « journalistes de sérail » ont beaucoup plus parlé de WikiLeaks en tant que tel que de ses révélations explosives. Une forme malhabile de censure, venant confirmer par ailleurs, une fois encore, le fameux principe de Marshall McLuhan : « Le medium est le message. »
Ces « journalistes de révérence24 » ont prétendu essentiellement trois choses :
1) que WikiLeaks n’apportait, en définitive, rien de neuf25, à peine « quelques révélations de troisième zone26 » ;
2) qu’il portait atteinte à la vie privée ;
3) que la transparence c’était bien gentil mais que, « le principe d’opacité étant indispensable à la démocratie27 », il fallait s’en tenir à la Realpolitik28 car, « dans les relations internationales, le secret et l’hypocrisie sont indispensables29 ».
Pour qui s’est donné la peine de lire quelques uns de câbles, la première accusation relève de la mauvaise foi la plus absolue. Concernant l’argument d’atteinte à la vie privée, rappelons, comme l’affirme Jeff Jarvis, professeur de journalisme à la City University de New York, que « la protection de la vie privée est une sorte de parapluie qu’on utilise souvent pour cacher nos peurs devant les nouvelles technologies30. »
Peurs qui en évoquent d’autres. Celles notamment qu’éprouvèrent les Américains lors de l’invention et la prolifération des caméras Kodak. Entre 1890 et 1910, ceux qu’on appelait alors les « Kodakers », photographes amateurs, étaient expulsés des parcs publics accusés de vouloir capter l’image des gens pour s’en servir. « Les tribunaux durent trancher la question de savoir si le photographe, amateur ou professionnel, avait besoin d’une autorisation pour prendre et développer à sa guise n’importe quelle photo. Ils répondirent que non31. » C’était la première fois que la question de la protection de la vie privée menacée par les nouveaux médias se posait32.
Par ailleurs, s’il est légitime, voire nécessaire, de se préoccuper de la protection de la vie privée des citoyens, il ne faut tout de même pas oublier que ce n’est pas WikiLeaks qui la menace, mais bien les États devenus de plus en plus sécuritaires. Dotés d’un formidable arsenal de surveillance électronique, ceux-ci se permettent désormais de fouiller jusqu’aux derniers recoins de la vie privée des gens. Ce sont eux qui exigent des citoyens une transparence absolue. Que WikiLeaks rende aux puissants (une partie de) la monnaie de leur pièce, n’est-ce pas qu’un juste retour des choses ?
Quant à la troisième accusation, son cynisme machiavélien est tellement excessif qu’elle en devient insignifiante. D’autres critiques ont prétendu qu’en déversant sur Internet, sans les trier, des milliers de dossiers secrets sur les horreurs des guerres d’Irak et d’Afghanistan et sur les confidences livrées par des informateurs à des ambassadeurs américains, WikiLeaks faisait preuve non seulement d’un comportement « irresponsable », mais il mettait en péril la vie de milliers de personnes. « Il a les mains tachées de sang33 ! » a déclaré, par exemple, Robert Graves, Secrétaire américain à la défense.
Ce à quoi Julian Assange a clairement répondu : « Au cours des quatre années d’existence de WikiLeaks, le Pentagone lui-même n’a jamais pu démontrer que la vie d’une seule personne ait été mise en danger à cause de nous34. »
D’abord, ne pas nuire
Ce souci de ne pas nuire à des individus cités dans les documents, a conduit dernièrement le site à ne pas diffuser directement sur le web les dossiers reçus, mais à les transmettre, avec plusieurs mois d’avance, à un second filtre : cinq importants médias de la presse écrite The Guardian35, The New York Times, Der Spiegel, Le Monde et El País. Concernant les documents sur la guerre d’Afghanistan et les 250 000 dépêches d’ambassades, par exemple, ces médias se sont d’abord consultés pour décider en commun s’ils les publiaient ou pas : « La décision n’a été prise qu’après une intense discussion—a déclaré Bill Keller, directeur du New York Times—Nous avons bien étudié au préalable le matériel pour tenter d’en établir l’importance et la crédibilité. Il y a des cas, comme celui-ci, où l’information est d’un intérêt public évident36. »
Ils ont alors constitué une cellule multinationale de 120 journalistes spécialisés qui, plusieurs semaines durant, a classé, analysé, vérifié, contextualisé et hiérarchisé les messages bruts des rapports d’ambassades. Et cela sur la base de critères journalistiques (les responsables de WikiLeaks ne se considèrent pas journalistes même s’ils réclament la protection de leurs sources). C’est ainsi qu’ont été notamment supprimés tous les noms de personnes dont la sécurité aurait été menacée par la publication des documents.
Ceux qui ont poussé des cris d’orfraie au prétexte que les documents révélés par WikiLeaks proviennent de « vols d’archives », doivent se souvenir que les fondements de la presse libre reposent en grande partie sur des « fuites ». S’il est vrai que, en matière judiciaire, toute enquête constituée au moyen d’actes illégaux ne peut être montrée à la justice, il n’en va pas de même pour les médias devant le tribunal de l’opinion publique. Si celle-ci a pu connaître, par exemple, le vrai degré d’implication du gouvernement des États-Unis dans la guerre du Vietnam c’est grâce aux 7 000 pages de documents ultrasecrets, les « Papiers du Pentagone », que Daniel Ellsberg, un chercheur de la Rand Corporation, transmit clandestinement au New York Times en 1971. À cette occasion déjà, le président Richard Nixon tempêtait : « Les gens devraient être envoyés au bûcher pour ce genre de choses…».
On se souvient aussi que le succès de l’enquête du Washington Post sur la fameuse affaire du Watergate (qui provoqua la démission du président Richard Nixon), considérée comme l’un des plus glorieux faits d’armes du journalisme d’investigation, n’a été possible que parce que le numéro deux du FBI, Mark Felt, connu sous le pseudonyme « Deep Throat » (Gorge profonde), déroba et fournit des informations secrètes aux journalistes Carl Bernstein et Bob Woodward.
Plus près de nous, en France—et pour ne pas citer Le Canard Enchaîné spécialiste de la diffusion permanente d’importantes révélations à bases de « fuites »—, l’affaire Woerth-Bettencourt connut, en 2010, un rebondissement spectaculaire lorsque diverses publications, dont le site Mediapart et l’hebdomadaire Le Point, publièrent l’intégralité des enregistrement clandestins de « conversations volées » impliquant le ministre Éric Woerth.
On se souvient qu’à cette occasion aussi, pour tenter de masquer l’essentiel, certains avaient mis l’accent sur le caractère illégal de l’obtention des preuves. Ce qu’avait dénoncé, entre autres, la juge Eva Joly : « Personne ne parlait de la question des enquêtes—rappelle-t-elle—On ne parlait que des problèmes que posaient ces écoutes clandestines, et non de ce qu’elles révélaient37. »
Des démocraties qui mentent
La véritable infamie donc, n’est pas que WikiLeaks diffuse des « documents volés », comme l’affirment ceux qui veulent tuer le messager pour mieux censurer le message38. Ce qui est important c’est que WikiLeaks fasse connaître au monde des informations qui concernent les citoyens et que les pouvoirs ne veulent pas diffuser. D’où le puissant mouvement de sympathie sociale à son égard que le directeur d’El País, Javier Moreno, analyse ainsi : « L’intérêt soulevé par les documents de WiliLeaks s’explique principalement pour une raison très simple : ils révèlent de manière exhaustive, comme cela n’avait jamais été fait, jusqu’à quel point les classes politiques des démocraties occidentales avancées ont constamment trompé leurs citoyens39. »
Et le vrai scandale c’est qu’il ne se passe rien. Que cela n’ait pratiquement aucune conséquence. Et que les responsables politiques dénoncés, preuves à l’appui, pour avoir trompé leur peuple continuent de gouverner comme si de rien n’était. C’est cette impunité qui choque et indigne les citoyens.
L’exception tunisienne
La seule exception à cette règle semble être le cas de la révolution tunisienne de décembre 2010–janvier 2011. La diffusion par WikiLeaks des dépêches explosives rédigées par l’ambassadeur américain Robert F. Codec décrivant en détail l’hallucinant degré de corruption dans la Tunisie de Ben Ali, la cacochymie du dictateur et l’insatiable rapacité de son épouse Leila et de sa famille, le « clan Trabelsi ». Cela a eu un effet catalyseur sur la population tunisienne excédée par 23 ans de dictature kleptocrate. Ce fut, comme dit le proverbe chinois, « le coup de massue qui rend lucide. »
Bien sûr, les Tunisiens ne méconnaissaient pas, et pour cause, la nature policière du régime. Et le mécontentement populaire était déjà à vif en raison notamment de la flambée des prix des denrées alimentaires. Mais quand les câbles, avec leurs descriptions d’exactions et d’abus précis, sont rendus publics le 7 décembre, les esprits s’enflamment.
Les autorités tunisiennes interdisent immédiatement l’accès au site de WikiLeaks et censurent tout média local qui s’en fait écho. Mais très vite, des sites en ligne—tel TuniLeaks (https://tunileaks.appspot.com)—s’en emparent40, les traduisent en arabe et en français, et leur donnent une très vaste diffusion. Les réseaux sociaux, le courrier électronique, la blogosphère et le « téléphone arabe » prennent le relais alimentant une irritation populaire déjà exaspéré.
De sorte que le geste héroïque du jeune vendeur ambulant et chômeur diplômé Mohammed Bouazizi, qui s’immole par le feu le 17 décembre devant la préfecture de Sidi Bouzid, est l’étincelle qui met le feu aux poudres. Aussitôt les protestations commencent. Elles s’étendent rapidement à tout le reste du pays. Twitter, Facebook, les blogs contournent la censure. Diffusant consignes et mots d’ordre. La chaîne arabe Al Jazeera cite les principales pages de Facebook et de YouTube, les popularise et en amplifie l’écho. Les affrontements avec la police se succèdent ; des dizaines de protestataires sont massacrés. Mais les manifestants poursuivent leur offensive populaire. Le 14 janvier 2011, le dictateur Zine El Abidine Ben Ali—complaisamment protégé pendant des décennies par les démocraties de l’Union européenne sous le prétexte qu’il aurait « constitué un rempart contre l’islamisme41 »—est renversé. Pour la revue américaine Foreign Policy c’est le triomphe de « la première révolution-WikiLeaks42 ».
Protéger les sources
Quoi qu’il en soit, l’irruption de WikiLeaks dans le débat sur l’avenir du journalisme a eu l’effet d’une bombe. Le documentariste John Pilger, célèbre journaliste d’investigation, ancien reporter de guerre au Vietnam et au Cambodge, estime que ce site « représente une nouvelle forme de journalisme d’investigation qui n’a peur de rien43 ». D’autres organisations, avec des caractéristiques différentes, dans d’autres pays du monde, prendront inévitablement la relève de celle de Julian Assange. « Quoi qu’il arrive à Assange et à WikiLeaks—affirme Felix Stalder, chercheur à l’Institut des nouvelles technologies culturelles de Vienne—ce modèle existe désormais. Il se reproduira, ailleurs et autrement44. »
Ce qui d’ailleurs s’est confirmé dès le 23 janvier 2011 avec la révélation, par la chaîne arabe Al-Jazeera et le quotidien britannique The Guardian, de quelque 1.600 documents confidentiels—appelés Palestinian Papers—concernant des aspects secrets des négociations israélo-palestiniennes.
Al Jazeera a ainsi lancé, en janvier 2011, son propre site dédié aux fuites : Al Jazeera Transparency Unit (http://transparency.aljazeera.net). Et Bill Keller a récemment admis que The New York Times envisageait également de créer sa propre « boîte à fuites » (anonymous electronic drop box).
Alors que certains États tentent d’étouffer ce nouveau journalisme45 sous les menaces et les procès, d’autres, plus démocratiques, commencent à adopter des lois pour en garantir le droit, protéger les sources et éviter le filtrage d’Internet. C’est notamment le cas de l’Islande46 où le Parlement a adopté, le 16 juin 2010, une loi—Icelandic Modern Media Initiative (IMMI)—qui offre aux journalistes et aux éditeurs une des protections les plus importantes du monde en matière de liberté d’expression, de journalisme d’investigation et de médias en ligne. Il est clair que l’accès généralisé à Internet va devenir une exigence démocratique fondamentale au même titre que l’accès à l’éducation, au savoir ou à l’électricité. Le comblement du fossé numérique, qui demeure abyssal—les deux tiers de l’humanité, soit plus de quatre milliards d’habitants, n’ont jamais utilisé Internet—, devient une revendication universelle. Et les lois pour y protéger la liberté d’expression seront de plus en plus indispensables.
L’affaire Sherrod
Si le développement d’Internet a eu, en matière d’information, des aspects positifs—comme l’essor du journalisme en ligne et l’épanouissement de WikiLeaks—, il a également des aspects négatifs. En particulier, l’appel au « lecteur journaliste » ou au « témoin d’un événement47 », incitant celui-ci à mettre en ligne, sur le site web du journal, son blog, ses photos ou ses vidéos48 augmente le risque de diffuser de fausses nouvelles…
De surcroît, l’accélération des médias numériques fait exploser automatiquement le nombre de dérapages médiatiques. Un cas—l’affaire Sherrod—a été particulièrement significatif à cet égard. Il démarre en juillet 2010, lorsqu’un site web américain proche du mouvement ultra-conservateur Tea Party, Breitbart.com, diffuse un court extrait—tronqué et remonté—du discours d’une fonctionnaire afro-américaine du département de l’Agriculture, Shirley Sherrod. Ce « document » laisse croire qu’un exploitant agricole blanc avait été discriminé en raison de la couleur de sa peau. Une « preuve », en quelque sorte, du racisme à l’envers que pratiquerait par l’Administration Obama. Instantanément repris et multiplié par le buzz du Net et par les plus grands médias, en particulier Fox News, l’ « information » va très vite provoquer un énorme scandale. Au point que, moins de 24 heures après, le ministère de l’Agriculture signifie à Shirley Sherrod son licenciement immédiat.
Mais très rapidement, la fonctionnaire réussit à démontrer son innocence : elle diffuse tout simplement l’intégralité de son discours original. Que nul média ne s’était donné la peine de consulter… De son côté, l’agriculteur blanc, prétendument discriminé—qu’aucun journaliste n’avait interrogé—, se mobilise pour explique partout comment, en réalité, Shirley Sherrod l’avait sauvé… Mais la réputation de la fonctionnaire est ruinée. Le Président Barack Obama en personne a dû l’appeler au téléphone pour s’excuser : « C’est arrivé parce que nous vivons dans une telle culture des médias que si quelque chose est diffusée par YouTube ou par un blog, tout le monde le reprend et cela devient une énorme affaire49. »
Des torts dévastateurs
En France, les désastres médiatiques et le bidonnages ne sont pas moindres, comme l’ont montré des dizaines de cas. Si certains sont véniels50, d’autres sont graves et parfois tragiques. Par exemple, l’affaire des « pédophiles » d’Outreau, ou celle de Marie L. qui prétendait avoir subi une agression à caractère antisémite dans le RER D, ou celle de Patrice Alègre-Dominique Baudis, ou celle du bagagiste de Roissy51…
Ces cas ont souvent été la conséquence d’une conception du journalisme d’investigation exclusivement à charge, pratiqué par des « justiciers investigateurs » grisés par la terreur qu’ils inspiraient et conscients de leur impunité. Les dégâts ne pouvaient être que considérables. Ce qui fait dire à Philippe Cohen et Élisabeth Lévy : « On se gardera de considérer les hommes et femmes politiques comme d’innocentes victimes de l’acharnement journalistique. On peut cependant s’interroger sur un processus qui a investi les journalistes du droit de demander des comptes à tous sans jamais être contraints d’en rendre à personne52.
Correspondant permanent de la chaîne France 2 à Jérusalem, Charles Enderlin a raconté en détail, dans son livre Un enfant est mort53, l’histoire d’une incroyable machination médiatico-idéologique devenue un véritable cas d’école de désinformation54. Il fait également le récit minutieux des persécutions dont lui et les siens ont fait l’objet. L’affaire commence le30 septembre 2000 quand le petit Mohammed Al-Dura, un enfant palestinien, meurt sous les balles dans les bras de son père face à la position israélienne de Netzarim, à Gaza. Il est filmé par le caméraman de France 2, Talal Abou-Rameh. Diffusée le soir même sur la chaîne publique, avec un commentaire de Charles Enderlin, l’image fait aussitôt le tour du monde et témoigne de l’insensibilité de certains militaires israéliens.
Mais immédiatement, raconte Charles Enderlin, des officines spécialisées dans la désinformation et des experts en théorie du complot, liés aux milieux néoconservateurs américains et israéliens, vont s’acharner à détruire le sens de ces images. Directeur de l’hebdomadaire Politis, Denis Sieffert résume ainsi la machination : « À l’origine, une officine de désinformation bien connue, destinée à un public français : la Metula News Agency (Mena). Le scénario est l’œuvre d’activistes français qui s’adjoignent les services de pseudo-experts israéliens, dont l’homme qui avait déjà prétendu démontrer qu’Itzhak Rabin avait été victime d’un complot fomenté par Shimon Peres… Et ce scénario est hallucinant : tout ne serait que mise en scène orchestrée par Talal Abou-Rameh, avec la complicité d’Enderlin. Le petit Mohammed aurait joué sa propre mort. Sur ses lèvres, affirment ces « experts » de pacotille, on pouvait lire les consignes qu’il donne lui-même au caméraman. Et les soubresauts de son corps après l’impact de la dernière balle prouvent qu’il n’est pas mort. Il coulerait aujourd’hui des jours heureux en Libye…55 »
Malgré l’énormité du détournement de vérité, une formidable machine à désinformer, relayée par des personnalités influentes, réussit à accréditer l’idée que le document de France 2 n’est qu’une falsification, une mise en scène, et qu’il s’agit en somme d’un « complot médiatique » fomenté contre Israël. Version qui sera reprise telle quelle par d’importants médias : The Wall Street Journal, Los Angeles Times, une chaîne de la télévision allemande… Mais pas en Israël. Ce qui permet à Denis Sieffert de conclure : « L’une des leçons de cette affaire, c’est que cette camarilla de la droite pro-israélienne est finalement plus redoutable en France ou aux États-Unis qu’en Israël même. Jamais, ni les gouvernements Sharon, Livni ou Olmert, ni l’état-major de l’armée, ni le Shin Beth (la sécurité intérieure) n’ont repris à leur compte les thèses qui se sont propagées en France. Ni Talal Abou-Rameh ni Enderlin n’ont jamais été contestés professionnellement par les autorités israéliennes. »
Des phénomènes de désinformation semblables se produisent dans d’autres pays. En Espagne, par exemple, après les meurtriers attentats du 11 mars 2004, les médias contrôlés par le gouvernement de M. José María Aznar se sont livrés à une manipulation médiatique à très grande échelle. Ils ont tenté d’imposer une « vérité officielle » au service d’ ambitions électorales, en cherchant à occulter la responsabilité du réseau Al-Qaida et en attribuant le crime à l’organisation basque ETA.
En 2005 et 2006, deux reporters du quotidien El Mundo publiaient une dizaine d’enquêtes spectaculaires « révélant » que le peintre italien Gaetano Pisano « Tano » avait protégé et occulté en Espagne l’un des pires criminels nazis, Aribert Heim « Docteur Mort »… Mais un tribunal a pu démontrer, en octobre 2010, que toutes ces « informations » étaient « fausses, inexactes, non vérifiées »56. Entretemps, le peintre se retrouvait en traitement psychiatrique, sa carrière ruinée…
Toutes ces affaires, ainsi que l’alliance de plus en plus étroite avec les pouvoirs économique et politique, ont causé un tort dévastateur à la crédibilité des médias.