Tanbou salue l’élection du premier président noir aux États-Unis, Barak Obama. Une fois de plus, le peuple étatsunien a bravé les préjugés et les affres du cynisme pour faire la bonne chose. Une appréciation spéciale doit être donnée aux qualités personnelles du président-élu qui, grâce à sa grande intelligence, sa tempérance et le respect de l’adversaire, a défié des circonstances extraordinaires pour devenir le chef suprême de la plus grande puissance politique, économique et militaire de la planète.
Cette élection est déjà une grande victoire et un acquis historique irréversible pour le peuple étatsunien; symbolique, certes, mais comme nous disions précédemment, parfois dans l’Histoire les victoires symboliques ont autant d’importance que les victoires pratiques, en tout cas cette élection constitue une brèche importante dans l’idéologie pernicieuse de la suprématie blanche représentée dans le maintien de la tradition d’un homme blanc dans la fonction de président—le plus grand honneur de la République—dans un pays où près de la moitié de la population est d’une race non caucasienne.
Cela dit, nous prenons aussi note de la tendance plutôt conservatrice de la nouvelle administration, évidente à la fois dans la composition du cabinet ministériel, qui recycle des magnats du Wall Street et des endurcis de l’appareil sécuritaire des ex-administrations de Bill Clinton et de George Bush, et dans le premier vrai test présenté à l’administration en attente: la crise du Moyen-Orient. Un test qu’elle a malheureusement raté, car au lieu de sortir une déclaration de principe qui dénonce la violence des deux camps, particulièrement celle du camp israélien qui tue au moment, quotidiennement, à Gaza des centaines de civils palestiniens, dont 30% d’enfants, Barack Obama, ainsi que sa secrétaire d’État désignée Hillary Clinton, se sont cachés derrière George Bush: «Les États-Unis n’ont qu’un président à la fois» ou «Les États-Unis n’ont qu’un secrétaire d’État à la fois» font-ils dire tour à tour à tout bout de champ. Essentiellement cette position équivaut à garder le silence sur le répétitif carnage humain et la destruction écologique que subit le peuple palestinien à Gaza face aux immenses ressources meurtrières d’une grande puissance militaire.
Comme on s’y attendait, l’administration Bush continue sa vieille rengaine qu’«Israël a le droit de se défendre», mots codés pour signifier qu’Israël peut faire ce qui bon lui semble, il reste garanti des inconditionnels soutiens politique et militaire des États-Unis. Comme on l’a vu dans les précédents assauts contre Gaza en juin 2006, Israël est prêt à causer d’incroyables destructions parmi la population civile pour renverser Hamas ou pour l’amener à se modérer. La disproportionnalité des moyens militaires employés des deux côtés, et l’asymétrie des conséquences en pertes humaines et matérielles, sont incroyables. En une semaine d’offensive et de bombardements israéliens, plus de 500 Palestiniens sont reportés tués, et des milliers de blessés, comparés à 4 Israéliens tués par les roquettes palestiniennes, soit 3 de plus avant l’offensive israélienne (l’armée israélienne donne le chiffre de 11 morts, ce qui fait tout au plus 10 de plus). Vingt ans auparavant, quand Israël envahissait le Liban, avec chars blindés et air-sol missiles et tuant des centaines de Libanais et de Palestiniens, Ronald Reagan implorait déjà la même rengaine. On dirait que la défense Israël ne s’encombrait d’aucun scrupule ou sens de proportionnalité par rapport à l’action de l’ennemi, après tout on ne sonne pas l’alerte—ou ordonne la frappe—nucléaire à chaque fois qu’un rebelle ou un petit criminel décide de frapper.
Naturellement, le sang de leur fils pour des parents israéliens, quel que soit le nombre des tués, est une tragédie incomparable: le mal est relatif et absolu à la fois, tout comme la souffrance. Nous devons donc pleurer toutes les morts. Mais la décence intellectuelle nous oblige à reconnaître que le problème palestino-israélien réside dans le fait de l’occupation et qu’on ne doit pas égaler les actions de résistance contre celle-ci, quelque déplorables qu’elles soient, avec l’intention dominatrice et expansionniste d’Israël.
Israël a certainement le droit de se défendre, et encore plus le droit d’exister; ce qu’il n’a pas, en revanche, c’est le droit d’envahir, d’occuper et de détruire d’autres pays. En outre, comme l’a dit Salah Stétié concernant la problématique israélo-arabe en général: «L’avenir d’Israël n’est pas outre-Atlantique. Cet avenir, il lui appartient de l’inscrire—géographiquement, politiquement, éthiquement—dans un Proche-Orient enfin pacifié, apaisé par l’ouverture de l’État juif à ses voisins et par l’acceptation sincère et loyale de ce que sont ces vieux peuples de vielle humanité [Nouvel Observateur du 24 au 30 août 2004].»
Il y a quelque chose profondément triste de voir des hommes et femmes adultes torturer leur conscience et leur intelligence pour trouver une justification plausible aux massacres en série perpétrés par Israël dans la bande de Gaza, certains en plein éclairage de ceux des reportages de télévision qui ont pu échapper la censure israélienne. Quand bien même on peut sympathiser avec les civils israéliens traumatisés par les tirs de roquettes terrifiants de Hamas, ça ne doit pas exclure un espace pour l’empathie avec les Palestiniens qui sont tués par centaines, avec des milliers de blessés, par les attaques de l’air, de mer et de terre des Israéliens.
C’est seulement en adressant le problème de l’occupation et en reconnaissant le droit des Palestiniens à leur propre patrie, en tant qu’entité libre jouissant de la souveraineté nationale, que ce problème se résoudra. Barack Obama avait lancé sa candidature sous le signe du changement, du respect de l’Autre et du dialogue entre adversaires. Le monde entier avait applaudi et attendu son élection dans l’espoir d’inaugurer une nouvelle ère dans les rapports entre les nations et entre les peuples. Se cacher derrière la politique inconditionnellement pro-israélienne de George Bush dans la crise de janvier 2009 n’est certainement pas un bon début pour le changement de politique qu’a préconisé Obama. Espérons qu’il rejettera le repas empoisonné que lui a réservé Israël et qu’il utilise les ressources et le capital moral qu’il a encore aux États-Unis et dans le monde pour promouvoir une véritable politique de paix et d’amitié entre les peuples du Proche-Orient.