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Poèmes en français

Poème de Jean Dany Joachim

Un simple hommage aux amis, à la famille et au pays

La terre tremble
Les maisons tombent
Les cris s’étouffent
Dans les décombres

Mon cœur se fend
J’attends
J’attends un cri rebel
Pour me redonner l’espoir

J’attends mes pleurs
Qui résistent encore
J’attends les mots qu’il faut
Et la musique aussi
Des mots que Magalie ne lira pas
Et la chanson qu’on ne chantera pas ensemble

J’attends
J’attends que les images
Disparaissent dans ma tête :
La cathédrale qui court
Pour éviter de tomber
Des anges qui s’agrippent
Au Sacré-Cœur pour empêcher sa chute
Le palais national qui d’un bond
Se relève et reprend sa place aux champs de Mars
Port-au-Prince qui se réveille de sa sieste
Pour voir qu’il n’était question d’un simple cauchemar

J’attends
J’attends de pouvoir enfin dormir
J’attends d’écouter la voix des miens
Lasirène qui rit, et qui espère
Mon frère Pòl qui parle de résurrection
La voix calme de Lo qui me rappelle ses parents

J’attends un signe dans la petite maison bleue
A la cinquième avenue Bolosse
J’attends le dernier décompte
Le dernier nom
Le dernier appel téléphonique
Le dernier bilan
J’attends que le sang sèche
Que le dernier cadavre soit couvert
Et que je fasse le dernier signe de la croix

J’attends
J’attends pour enfin accepter
Que pour de vrai ça a eu lieu
Que ma terre a tremblé
Des maisons sont tombées

Les miens sont meurtris
Et leurs cris étouffés
J’attends
J’attends pour enfin accepter
Que c’est ce même espace
Que les ouragans ont dévasté
Ce même coin de notre planète
Que les inondations ont ravagé
Oh, notre terre que ma mère portait dans son cœur

J’attends de comprendre
Comment combler ces vides
Tous ces noms effacés
Tous ces souvenirs
Tous ces projets
Et cet après-midi qui s’est top vite changé
En profondeur de la nuit…

J’attends la main qui touchera les âmes
J’attends le mot juste pour reprendre la marche
J’attends l’espoir qui renaîtra
J’attends le prochain lever de soleil
La première fleur à paraître

J’attends de pouvoir enfin pleurer
Pleurer une rivière avec la foule et me libérer
Pleurs de morts
Pleurs de mots
De musique et de silence
Pleurs de terre qui tremble
De maisons qui tombent
Et qui étouffent les cris
Pleurs de joie à venir
Et pleurs de résurrection

Mais j’attends
J’attends désespérément
Le premier vol
Qui m’emmènera vers les miens
J’attends
J’attends…

—Jean Dany Joachim janvier 2010

Poème de Marlène Racine-Toussaint (Maratou)

Je me souviens

Au soir du 12 Janvier, notre terre a tremblé
Et dans son flanc ouvert, elle a tout enterré
Est-ce la voix de Dieu, a-t-on brisé sa Loi ?
Ou celle de la nature, voulant semer l’effroi ?

Port-au-Prince mon berceau, est sous d’affreuses ruines
C’est bien Madame Nature, quelle vengeance elle rumine ?
Elle fait tous ces dégâts, sans même crier gare
Emporte biens et humains, sexe et age, sans égard !
De quoi sont-ils punis, ces pauvres malheureux ?

Ô Dieu ils n’ont donc pas eu pitié à vos yeux ?
Le seul péché commis, c’est d’être misérables
Car l’angoisse et la faim, demeurent inséparables
Notre belle Cathédrale, nos églises englouties.

Nos plus beaux édifices, sous la terre sont enfouis.
Port-au-Prince n’est plus, tous nos bons souvenirs
Resteront dans nos cœurs, sans jamais se ternir
Tant de rêves et d’espoirs, anéantis quelle horreur !

Tout cela vient faire croître, la liste de nos malheurs.
Au milieu du carnage, accourent de tous bords
Amis proches et lointains, tous envahissent nos ports.
Chacun plante son drapeau, et veut la première place
Soudain ils se réclament, les fils d’une même race.

Se bousculent et s’empressent de se mettre sur les rangs
Nos gens visages hagards, circulent comme des errants.
Tous veulent nous apporter, cette aide humanitaire
Sans même être en guerre, serons-nous tributaires ?

Haïti est moribonde, son état est critique
D’aucuns diront sûrement, ah! l’ingrate, la sceptique
J’apprécie cependant, de nos frères, le secours
Mais à l’inévitable, a-t-on d’autres recours.

Malgré ce grand chagrin, encore je me souviens
Du temps où c’était nous, qui apportions soutien
Sans doute se souviennent-ils, qu’aux temps de désespoir
Le sang des Haïtiens abreuvait leurs terroirs ?

Lorsque interpellés, nous avions fait le choix
Pour nos frères d’Israël, par notre vote et nos voix
Par l’organe de Saint Lôt, pour nos frères de l’Afrique
Nous fûmes à Savannah, pour la jeune Amérique.

L’Amérique Latine par Bolívar, profita
Le “brain drain” de nos fils, par l’Afrique, le Canada.
De quelque nature que l’épreuve nous parvienne
Nous devons adopter, une attitude jobienne!

Et quand auront passé, ces durs moments d’effroi
Nous le rebâtirons, en Dieu nous avons foi.
S’il est vrai ce qu’on dit: “un pays ne meurt pas!”
Tout comme le Phœnix, vois-tu, Haïti renaîtra.

—Marlène Racine-Toussaint (Maratou) 17 Janvier 2010

Poèmes de Régine Beauplan

Le port du Prince

Un grand navire d’Occident
Le Prince ainsi nommé
Au hasard des grands vents
Ou dans la certitude d’un rendez-vous inscrit,
À cette rade jadis, s’y est accosté.
Au cœur des océans, dans cet Éden bafoué :
Un havre entre deux mondes.
Qui, de la ville ou du Prince
Entre perfidie ou salvatrice ignorance
En commandera damnation ou pitié?

Dans l’ironie d’un nom, d’un sort
Ou celui d’un ancrage
Ces escales d’un Prince
À ce port, vous dirais-je bien encore
Baptisé de ce nom, était-il un présage?
De deux mondes, marquait-il un clivage?
Cette escale pour Le Prince
Un mouillage dans cette rade
Cet antre d’autrefois, noyé de l’innocence
À l’avance, condamné, d’une stupéfiante mascarade
Pour l’histoire, occultée la mémoire.

Dans ce monde des oublieux
D’un nom et son contraire
Un asile d’un exil aujourd’hui devenu.
Et ce nom que l’on porte
Comme celui d’un baptême
Ton nom de Prince, dans l’ironie suprême
Infinie dérision devenue Port-au-Prince.

Au croisement tectonique
Au choc des continents
De cette antinomie en a fait le pari
De ce coin de terre, de cette perle d’île
De cette Ayiti chérie
Dans l’ironie d’un triste titre
D’un nom aussi sinistre
De ce jardin d’Éden
Le sort, en a-t-il plutôt fait Géhenne?
Cette escale du Prince, était-ce déjà un gage
Inscrit dans le fond de la cale au fil de ces voyages?
Promesse conspuée ou prélude d’héritage
Du sort le plus infâme
De simples et innocentes âmes
Celui d’hommes et de femmes
De ce port et son nom dérisoire dans l’Éden étouffé

(28 janvier 2010)

La Perle

Tombé de la bague même de Dieu
Petit pays béni, il en a fait son lieu
Sous ces montagnes aujourd’hui toutes nues
Se cache aujourd’hui encore
Une perle qu’on ignore
Espérance contre toute espérance
Dahoméens, de si loin parvenus, complices à votre insu
Perle des perles, pour toi, ils combattront encore
Pour préserver au défi de la mort
Sous tes montagnes scellées comme des coffres-forts
Le plus sûr, le plus pur des trésors.
Révélé au grand jour, pour une planète entière
Un séisme traumatise pour guérir la bêtise.
Sur cette terre d’Ayiti, mon pays paradis,
précieux est un secret enfoui.

La liberté, l’amour, sont infinis trésors
Dans les abysses du mépris,
Un mystère y est bien là enseveli.
Oyez, guerriers du Dahomey protégeant un fragment d’île
Gardiens d’un trésor dans la fuite du temps au-delà d’un exil
Ces morts, ces corps ne sont qu’un leurre
L’amour n’a jamais tort, —elle—n’attend que son heure
Tremblement de terre, déhiscence du cœur
Intacte et fragile au milieu de l’océan
Du tréfonds d’un mystère, vaincre les faux-fuyants
Peuple du Dahomey, nobles et vénérables géants
Si longtemps méprisés, tout homme est homme voilà simple vérité
Votre douleur est aussi nôtre, salut pour l’un et l’autre
Absurde ce vain acharnement, ce séisme en est l’abdication?
Une nation est une âme, libre de contrainte
Libre même de foi, libre de toute crainte
Renaître du chaos, renaître des décombres,
Douleur est peu de mots. À ces morts qu’on dénombre
La mort elle-même s’inscrit en faux.
Dans cette hécatombe, une spirale fléchit, sinon, même succombe
Irréductible au jour même le plus sombre
Un peuple se tient debout. Et moi, et vous et nous?
Cette bataille encore n’est point une première
Sait-on sous cette dernière pierre? Dernière aussi la page?
Dans une dernière rage la misère capitule
L’absurde dans sa furie se couvre de ridicule
Car un peuple se relève et marchera encore
Une planète entière reste bien incrédule
Au miroir de la vie, Ayiti, ton courage nous irradie
Au bout d’un long chemin, au bout de mille tourments
Un peuple se lèvera encore, il tend vers la lumière
Amour et liberté, complétude du combat
Entre vos mains toutes nues, entre deux mondes encore
À la face du monde, de cette ville que l’on voudrait immonde
Se cache pure vérité, vous êtes miroir de notre âme profonde
Épicentre de notre même sort
Ultime de tout combat, sans nier, douter ou encore même comprendre
De toute nuit même encore la plus noire
Dans l’ultime déraison, entre seulement être et si encore y croire
Même planète, un même et seul pari.
Au-delà de ces cris, un mystère, du silence se nourrit
Ce malheur n’est pas que vôtre
De votre bonheur dépend aussi le nôtre.

(28 janvier 2010)

—Régine Beauplan, Gatineau Auteur de Quelques feuilles d’amandier, Lanctôt, 2006

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